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sa réputation politique dans cette entreprise hardie[1] ; mais on ne doit pas supposer que nos ancêtres traversaient ces bois, gravissaient ces montagnes ou voguaient sur ces lacs avec la même facilité. Le transport d’un seul canon de gros calibre passait alors pour une victoire remportée, si heureusement les difficultés du passage n’étaient pas de nature à empêcher le transport simultané des munitions, sans quoi ce n’était qu’un tube de fer, lourd, embarrassant, et inutile.

Les maux résultant de cet état de choses se faisaient vivement sentir au brave Écossais qui défendait alors William-Henry. Quoique Montcalm eût négligé de profiter des hauteurs, il avait établi avec art ses batteries dans la plaine, et elles étaient servies avec autant de vigueur que d’adresse. Les assiégés ne pouvaient lui opposer que des moyens de défense préparés à la hâte dans une forteresse située dans le fond d’un désert ; et ces belles nappes d’eau qui s’étendaient jusque dans le Canada ne pouvaient leur procurer aucun secours, tandis qu’elles ouvraient un chemin facile à leurs ennemis.

Ce fut dans la soirée du cinquième jour du siège, le quatrième depuis qu’il était rentré dans le fort, que le major Heyward profita d’un pourparler pour se rendre sur les parapets d’un des bastions situés sur les bords du lac, afin de respirer un air frais, et d’examiner quels progrès avaient faits dans la journée les travaux des assiégeants. Il était seul, si l’on excepte la sentinelle qui se promenait sur les remparts, car les artilleurs s’étaient retirés pour profiter aussi de la suspension momentanée de leurs devoirs. La soirée était calme, et l’air qui venait du lac, doux et rafraîchissant : délicieux paysage où naguère le retentissement de l’artillerie et le bruit des boulets qui tombaient dans le lac frappaient les oreilles. Le soleil éclairait cette scène de ses derniers rayons. Les montagnes couvertes de verdure s’embellissaient sous la clarté plus douce du déclin du jour, et l’on voyait se dessiner successivement l’ombre de quelques petits nuages chassés par une brise fraîche. Des îles sans nombre paraient l’Horican, comme les marguerites ornent un tapis de gazon, les unes basses et presque à fleur d’eau, les autres formant de petites montagnes vertes. Une

  1. Le plan de M. Clinton ne pouvait en effet être justifié que par le succès ; il l’a été : il s’agissait de joindre par un canal les grands lacs à l’Océan atlantique. Cette entreprise gigantesque a été exécutée en huit ans, et n’a coûté que 50 000 000 fr.