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des livres, et qu’on écrive des relations d’escarmouches semblables à celle qui a eu lieu ici autrefois entre les Mohicans et les Mohawks, dans une guerre qui ne regardait qu’eux. J’étais bien jeune alors, et je pris parti pour les Mohicans, parce que je savais que c’était une race injustement calomniée. Pendant quarante jours et quarante nuits, les coquins eurent soif de notre sang autour de ce bâtiment, dont j’avais conçu le plan, et auquel j’avais travaillé moi-même, étant, comme vous le savez, un homme dont le sang est sans mélange, et non un Indien. Les Mohicans m’aidèrent à le construire, et nous nous y défendîmes ensuite dix contre vingt, jusqu’à ce que le nombre fût à peu près égal des deux côtés ; alors nous fîmes une sortie contre ces chiens, et pas un d’eux ne retourna dans sa peuplade pour y annoncer le sort de ses compagnons. Oui, oui, j’étais jeune alors : la vue du sang était une chose toute nouvelle pour moi, et je ne pouvais me faire à l’idée que des créatures, qui avaient été animées comme moi du principe de la vie, resteraient étendues sur la terre pour être dévorées par des bêtes féroces ; si bien que je ramassai tous les corps, je les enterrai de mes propres mains, et ce fut ce qui forma la butte sur laquelle ces dames sont assises, et qui n’est pas un trop mauvais siège, quoiqu’il ait pour fondation les ossements des Mohawks.

Les deux sœurs se levèrent avec précipitation en entendant ces mots ; car malgré les scènes terribles dont elles venaient d’être témoins, et dont elles avaient manqué d’être victimes, elles ne purent se défendre d’un mouvement d’horreur en apprenant qu’elles étaient assises sur la sépulture d’une horde de sauvages. Il faut avouer aussi que la sombre lueur du crépuscule qui s’épaississait insensiblement, le silence d’une vaste forêt, le cercle étroit dans lequel elles se trouvaient, et autour duquel de grands pins, très proches les uns des autres, semblaient former une muraille, tout concourait à donner plus de force à cette émotion.

— Ils sont partis ; ils ne peuvent plus nuire à personne, continua le chasseur avec un sourire mélancolique en voyant leur alarme ; ils ne sont plus en état ni de pousser le cri de guerre, ni de lever leur tomahawk. — Et de tous ceux qui ont contribué à les placer où ils sont, il n’existe aujourd’hui que Chingachgook et moi. Les autres étaient ses frères et leur famille, et vous avez sous les yeux tout ce qui reste de leur race.