Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 5, 1839.djvu/150

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Cela était facile à voir, et il ne fallait pas pour cela une sagacité bien extraordinaire. C’était une chose plus aisée à remarquer que l’allure d’un cheval. Il me vint alors à l’idée que les Mingos se rendraient à cette fontaine ; car les coquins connaissent bien la vertu de son eau.

— Elle a donc de la célébrité ? demanda Heyward en examinant avec plus d’attention cette vallée retirée et la petite source qui s’y trouvait entourée d’une terre inculte.

— Il y a peu de Peaux-Rouges, voyageant du sud à l’est des grands lacs, qui n’en aient entendu vanter les qualités. — Voulez-vous la goûter vous-même ?

Heyward prit la gourde, et, après avoir bu quelques gouttes de l’eau qu’elle contenait, il la rendit en faisant une grimace de dégoût et de mécontentement. Le chasseur sourit et secoua la tête d’un air de satisfaction.

— Je vois que la saveur ne vous en plaît pas, dit-il, et c’est parce que vous n’y êtes pas habitué. Il fut un temps où je ne l’aimais pas plus que vous, et maintenant je la trouve à mon goût, et j’en suis altéré comme le daim l’est de l’eau salée[1]. Vos meilleurs vins ne sont pas plus agréables à votre palais que cette eau ne l’est au gosier d’une Peau-Rouge, et surtout quand il se sent dépérir, car elle a une vertu fortifiante. — Mais je vois qu’Uncas a fini d’apprêter nos grillades, et il est temps de manger un morceau, car il nous reste une longue route à faire.

Ayant interrompu l’entretien par cette brusque transition, Œil-de-Faucon se mit à profiter des restes du faon qui avaient échappé à la voracité des Hurons. Le repas fut servi sans plus de cérémonie qu’on n’en avait mis à le préparer, et les deux Mohicans et lui satisfirent leur faim avec ce silence et cette promptitude qui caractérisent les hommes qui ne songent qu’à se mettre en état de se livrer à de nouveaux travaux et de supporter de nouvelles fatigues.

Dès qu’ils se furent acquittés de ce devoir nécessaire, tous trois vidèrent la gourde pleine de l’eau de cette source médicinale, alors solitaire et silencieuse, et autour de laquelle, depuis cin-

  1. Plusieurs des animaux des forêts de l’Amérique s’arrêtent dans les lieux où se trouvent des sources d’eau salée. On les appelle licks ou salt-licks ; dans le langage du pays cela signifie que le quadrupède est souvent obligé de lécher (to licks) la terre afin d’en obtenir les particules salées. Ces licks sont d’un grand secours aux chasseurs, parce qu’elles mettent sur la piste du gibier, qui se tient souvent dans les environs.