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quet, et allumez du feu ; un morceau de grillade ne sera pas de trop après les fatigues que nous avons éprouvées.

Voyant que leurs guides avaient sérieusement envie de faire un repas, Heyward aida les deux sœurs à descendre de cheval, les fit asseoir sur le gazon pour qu’elles prissent quelques instants de repos, et pendant que les préparatifs de cuisine allaient leur train, la curiosité le porta à s’informer par quel heureux concours de circonstances les trois amis étaient arrivés si à propos pour les sauver.

— Comment se fait-il que nous vous ayons revu si tôt, mon généreux ami, dit-il au batteur d’estrade, et que vous n’ayez amené aucun secours de la garnison d’Édouard ?

— Si nous avions dépassé le coude de la rivière nous serions arrivés à temps pour couvrir vos corps de feuilles, mais trop tard pour sauver vos chevelures. Non, non ; au lieu de nous épuiser et de perdre notre temps en courant au fort, nous sommes restés en embuscade sur les bords de la rivière pour épier les mouvements des Hurons.

— Vous avez donc vu tout ce qui s’est passé ?

— Point du tout. Les yeux des Indiens sont trop clairvoyants pour qu’on puisse leur échapper, et nous nous tenions soigneusement cachés. Mais le plus difficile était de forcer ce jeune homme à rester en repos près de nous. Ah ! Uncas, vous vous êtes conduit en femme curieuse plutôt qu’en guerrier de votre nation !

Les yeux perçants d’Uncas se fixèrent un instant sur le chasseur, mais il ne lui répondit pas, et ne montra aucun signe qui annonçât le moindre repentir de sa conduite. Au contraire, Heyward crut remarquer que l’expression des traits du jeune Mohican était fière et dédaigneuse, et que s’il gardait le silence sur ce reproche, c’était autant par respect pour ceux qui l’écoutaient que par suite de sa déférence habituelle pour son compagnon blanc.

— Mais vous avez vu que nous étions découverts ? ajouta le major.

— Nous l’avons entendu, répondit Œil-de-Faucon en appuyant sur ce mot : les hurlements des Indiens sont un langage assez clair pour des gens qui ont passé leur vie dans les bois. Mais à l’instant où vous avez débarqué, nous avons été obligés de nous glisser comme des serpents sous les broussailles pour ne pas être aperçus, et depuis ce moment nous ne vous avons plus revus