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carabine qui est sur mes genoux soit une plume d’oie, ma corne à poudre un cornet à encre, et ma gibecière un mouchoir pour emporter mon dîner à l’école ? Des livres ! quel besoin de livres a un homme comme moi, qui suis un guerrier du désert, quoique mon sang soit pur ? je n’en ai jamais lu qu’un seul, et les paroles qui y sont écrites sont trop claires et trop simples pour avoir besoin de commentaire, quoique je puisse me vanter d’y avoir lu constamment pendant quarante longues années.

— Et comment nommez-vous ce livre ? demanda le maître en psalmodie, se méprenant sur le sens que son compagnon attachait à ce qu’il venait de dire.

— Il est ouvert devant vos yeux, répondit le chasseur, et celui à qui il appartient n’en est point avare ; il permet qu’on y lise. J’ai entendu dire qu’il y a des gens qui ont besoin de livres pour se convaincre qu’il y a un Dieu. Il est possible que les hommes, dans les établissements, défigurent ses ouvrages au point de rendre douteux au milieu des marchands et des prêtres ce qui est clair et évident dans le désert. Mais s’il y a quelqu’un qui doute, il n’a qu’à me suivre d’un soleil à l’autre dans le fond des bois, et je lui en ferai voir assez pour lui apprendre qu’il n’est qu’un fou, et que sa plus grande folie est de vouloir s’élever au niveau d’un être dont il ne peut jamais égaler ni la bonté ni le pouvoir.

Du moment que David reconnut qu’il discutait avec un homme qui puisait sa foi dans les lumières naturelles, et qui méprisait toutes les subtilités de la métaphysique, il renonça sur-le-champ à une controverse dont il crut qu’il ne pouvait retirer ni honneur ni profit. Pendant que le chasseur parlait encore, il s’était assis à son tour, et prenant son petit volume de psaumes et ses lunettes montées en fer, il se prépara à remplir un devoir que l’assaut que son orthodoxie venait de recevoir pouvait seul avoir suspendu si longtemps. David était dans le fait un ménestrel du Nouveau-Monde, bien loin certes des temps de ces troubadours inspirés qui, dans l’ancien, célébraient le renom profane d’un baron ou d’un prince ; mais c’était un barde dans l’esprit du pays qu’il habitait, et il était prêt à exercer sa profession pour célébrer la victoire qui venait d’être remportée, ou plutôt pour en rendre grâces au ciel. Il attendit patiemment qu’Œil-de-Faucon eût fini de parler, et levant alors les yeux et la voix, il dit tout haut :

— Je vous invite, mes amis, à vous joindre à moi pour re-