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de vie, avec une indifférence aussi froide que celle d’un boucher qui arrange sur son étal les membres des moutons qu’il vient d’égorger. Mais il avait été prévenu par Chingachgook, qui s’était déjà emparé des trophées de la victoire, les chevelures des vaincus.

Uncas au contraire, renonçant à ses habitudes et peut-être même à sa nature pour céder à une délicatesse d’instinct, suivit Heyward, qui courut vers ses compagnes, et lorsqu’ils eurent détaché les liens qui retenaient encore Alice et que Cora n’avait pu rompre, les deux aimables sœurs se jetèrent dans les bras l’une de l’autre.

Nous n’essaierons pas de peindre la reconnaissance dont elles furent pénétrées pour l’arbitre suprême de tous les événements en se voyant rendues d’une manière inespérée à la vie, à leur père. Les actions de grâces furent solennelles et silencieuses. Alice s’était précipitée à genoux dès que la liberté lui avait été rendue, et elle ne se releva que pour se jeter de nouveau dans les bras de sa sœur en l’accablant des plus tendres caresses, qui lui furent rendues avec usure. Elle sanglota en prononçant le nom de son père, et au milieu de ses larmes, ses yeux doux comme ceux d’une colombe brillaient du feu de l’espoir qui la ranimait et donnait à tous ses traits une expression qui semblait avoir quelque chose de céleste.

— Nous sommes sauvées ! s’écria-t-elle ; nous sommes sauvées ! Nous serons encore pressées dans les bras de notre tendre père ; et son cœur ne sera pas déchiré par le cruel regret de notre perte. — Et vous aussi, Cora, vous, ma chère sœur, vous qui êtes plus que ma sœur, vous m’êtes rendue ! — Et vous, Duncan, ajouta-t-elle en le regardant avec un sourire d’innocence angélique, notre cher et brave Duncan, vous êtes sauvé de cet affreux péril !

À ces paroles prononcées avec une chaleur qui tenait de l’enthousiasme, Cora ne répondit qu’en pressant tendrement sa sœur sur son sein ; Heyward ne rougit pas de verser des larmes ; et Uncas, couvert du sang des ennemis et du sien, et en apparence spectateur impassible de cette scène attendrissante, prouvait par l’expression de ses regards qu’il était en avance de plusieurs siècles peut-être sur ses sauvages compatriotes.

Pendant ces scènes d’une émotion si naturelle, Œil-de-Faucon s’étant bien assuré qu’aucun des ennemis étendus par terre ne possédait plus le pouvoir de leur nuire, s’approcha de David et le