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leurs soupçons. Une fois pourtant, une seule fois elle réussit à briser une branche de sumac, et par une pensée soudaine elle laissa tomber un de ses gants pour laisser une marque plus certaine de leur passage. Cette ruse n’échappa point à la pénétration du Huron qui était près d’elle ; il ramassa le gant, le lui rendit, brisa et froissa quelques branches de sumac, de manière à faire croire que quelque animal sauvage avait traversé ce buisson, et porta la main sur son tomahawk avec un regard si expressif et si menaçant, que Cora en perdit complètement l’envie de laisser après elle le moindre signe qui indiquât leur route.

À la vérité, les chevaux pouvaient imprimer sur la terre les traces de leurs pieds ; mais chaque troupe des Hurons en avait emmené deux, et cette circonstance pouvait induire en erreur ceux qui auraient pu arriver pour leur donner du secours.

Heyward aurait appelé vingt fois leur conducteur, et se serait hasardé à lui faire une remontrance, si l’air sombre et réservé du sauvage ne l’eût découragé. Pendant toute sa marche, Magua se retourna à peine deux ou trois fois pour jeter un regard sur la petite troupe, et ne prononça jamais un seul mot. N’ayant pour guide que le soleil, ou consultant peut-être ces marques qui ne sont connues que de la sagacité des Indiens, il marchait d’un pas assuré, sans jamais hésiter, et presque en ligne directe, dans cette immense forêt, coupée par de petites vallées, des montagnes peu élevées, des ruisseaux et des rivières. Que le sentier fût battu, qu’il fût à peine indiqué ou qu’il disparût totalement, il n’en marchait ni avec moins de vitesse, ni d’un pas moins assuré : il semblait même insensible à la fatigue. Toutes les fois que les voyageurs levaient les yeux, ils le voyaient à travers les troncs de pins, marchant toujours du même pas et le front haut. La plume dont il avait paré sa tête était sans cesse agitée par le courant d’air que produisait la rapidité de sa marche.

Cette marche rapide avait pourtant son but. Après avoir traversé une vallée où serpentait un beau ruisseau, il se mit à gravir une petite montagne, mais si escarpée, que les deux sœurs furent obligées de descendre de cheval pour pouvoir le suivre. Lorsqu’ils en eurent gagné le sommet, ils se trouvèrent sur une plate-forme où croissaient quelques arbres, au pied de l’un desquels Magua s’était déjà étendu pour y chercher le repos dont toute la troupe avait le plus grand besoin.