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troupe alors se divisa ; le chef, suivi de la plupart de ses gens, monta sur le cheval du major, traversa la rivière, et disparut dans les bois, laissant les prisonniers sous la garde de six sauvages, à la tête desquels était le Renard-Subtil. Ce mouvement inattendu renouvela les inquiétudes d’Heyward.

D’après la modération peu ordinaire de ces sauvages, il avait aimé à se persuader qu’on les gardait prisonniers pour les livrer à Montcalm. Comme l’imagination de ceux qui sont dans le malheur sommeille rarement, et qu’elle n’est jamais plus active que lorsqu’elle est excitée par quelque espérance, si faible et si éloignée qu’elle puisse être, il avait même pensé que le général français pouvait se flatter que l’amour paternel l’emporterait chez Munro sur le sentiment de ce qu’il devait à son roi ; car, quoique Montcalm passât pour un esprit entreprenant, pour un homme plein de courage, on le regardait aussi comme expert dans ces ruses politiques, qui ne respectent pas toujours les règles de la morale, et qui déshonoraient si généralement à cette époque la diplomatie européenne.

Mais en ce moment tous ces calculs ingénieux se trouvaient dérangés par la conduite des Hurons. Le chef, et ceux qui l’avaient suivi, se dirigeaient évidemment vers l’extrémité de l’Horican ; et ils restaient au pouvoir des autres, qui allaient les conduire sans doute au fond des déserts. Désirant sortir à tout prix de cette cruelle incertitude, et voulant dans une circonstance si urgente essayer le pouvoir de l’argent, il surmonta la répugnance qu’il avait à parler à son ancien guide, et se retournant vers Magua, qui avait pris l’air et le ton d’un homme qui devait maintenant donner des ordres aux autres, il lui dit d’un ton amical, et qui annonçait autant de confiance qu’il put prendre sur lui d’en montrer :

— Je voudrais adresser à Magua des paroles qu’il ne convient qu’à un si grand chef d’entendre.

L’Indien se retourna, le regarda avec mépris, et lui répondit :

— Parlez, les arbres n’ont point d’oreilles.

— Mais les Hurons ne sont pas sourds ; et les paroles qui peuvent passer par les oreilles des grands hommes d’une nation enivreraient les jeunes guerriers. Si Magua ne veut pas écouter, l’officier du roi saura garder le silence.

Le sauvage dit quelques mots avec insouciance à ses compagnons, qui s’occupaient gauchement à préparer les chevaux des