Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 5, 1839.djvu/112

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

celle de ses compagnons. Il n’avait pris aucune part aux nouvelles recherches qu’on avait faites depuis la capture des quatre prisonniers ; il avait laissé ceux de ses camarades que la soif du pillage tourmentait, ouvrir la petite valise du maître en psalmodie et s’en partager les effets. Placé à quelque distance derrière les autres Hurons, il avait l’air si tranquille, si satisfait, qu’il était évident que, quant à lui du moins, il avait obtenu tout ce qu’il désirait gagner par sa trahison. Quand les yeux du major rencontrèrent les regards sinistres quoique calmes de son guide, il les détourna d’abord avec horreur ; mais sentant la nécessité de dissimuler dans un pareil moment, il fit un effort sur lui-même pour lui adresser la parole.

— Le Renard-Subtil est un trop brave guerrier, lui dit-il, pour refuser d’expliquer à un ennemi sans armes ce que lui demandent ceux dont il est le captif.

— Ils lui demandent où est le Chasseur qui connaît tous les sentiers des bois, répondit Magua en mauvais anglais ; et appuyant en même temps la main avec un sourire féroce sur des feuilles de sassafras qui bandaient une blessure qu’il avait reçue à l’épaule ; la Longue-Carabine, ajouta-t-il : son fusil est bon, son œil ne se ferme jamais ; mais de même que le petit fusil du chef blanc, il ne peut rien contre la vie du Renard-Subtil.

— Le Renard est trop brave, dit Heyward, pour songer à une blessure qu’il a reçue à la guerre et pour la reprocher à la main qui la lui a faite.

— Étions-nous en guerre, répliqua Magua, quand l’Indien fatigué se reposait au pied d’un chêne pour manger son grain ? qui avait rempli la forêt d’ennemis embusqués ? qui a voulu lui saisir le bras ? qui avait la paix sur la langue et le sang dans le cœur ? Magua avait-il dit que sa hache de guerre était hors de terre et que sa main l’en avait retirée ?

Heyward, n’osant rétorquer l’argument de son accusateur en lui reprochant la trahison qu’il avait lui-même méditée, et dédaignant de chercher à désarmer son ressentiment par quelque apologie, garda le silence. Magua, de son côté, ne parut pas vouloir continuer la controverse, et s’appuyant de nouveau contre le rocher dont il s’était écarté un instant, il reprit son attitude d’indifférence. Mais le cri de — la Longue-Carabine ! — se renouvela dès que les sauvages impatients s’aperçurent que cette courte conférence était terminée.