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la voix faisait oublier le manque total de talent du poète. Alice sentit ses pleurs se sécher, et fixa sur le chanteur ses yeux attendris, avec une expression de plaisir qui n’était point affectée et qu’elle ne cherchait pas à cacher. Cora accorda un sourire d’approbation aux pieux efforts de celui qui portait le nom du roi-prophète, et le front d’Heyward se dérida tandis qu’il perdait un instant de vue l’étroite ouverture qui éclairait la caverne, et qu’il admirait alternativement l’enthousiasme qui brillait dans les regards du chanteur, et l’éclat plus doux des yeux encore humides de la jeune Alice.

Le musicien s’aperçut de l’intérêt qu’il excitait ; son amour-propre satisfait lui inspira de nouveaux efforts, et sa voix regagna tout son volume et sa richesse, sans rien perdre de sa douceur. Les voûtes de la caverne retentissaient de ses sons mélodieux, quand un cri horrible, se faisant entendre au loin, lui coupa la voix aussi complètement que si on lui eût mis tout à coup un bâillon.

— Nous sommes perdus ! s’écria Alice en se jetant dans les bras de Cora, qui les ouvrit pour la recevoir.

— Pas encore, pas encore, dit Heyward ; ce cri des sauvages part du centre de l’île ; il a été occasionné par la vue de leurs compagnons morts. Nous ne sommes pas découverts, et nous pouvons encore espérer.

Quelque faible que fût cette espérance, Duncan ne la fit pas luire inutilement, car ses paroles servirent du moins à faire sentir aux deux sœurs la nécessité d’attendre les événements en silence. D’autres cris suivirent le premier, et l’on entendit bientôt les voix des sauvages qui accouraient de l’extrémité de la petite île, et qui arrivèrent enfin sur le rocher qui couvrait les deux cavernes. L’air continuait à retentir de hurlements féroces tels que l’homme peut en produire, et seulement quand il est dans l’état de la barbarie la plus complète.

Ces sons affreux éclatèrent bientôt autour d’eux de toutes parts ; les uns appelaient leurs compagnons du bord de l’eau, et les autres leur répondaient du haut des rochers. Des cris plus dangereux se firent entendre dans le voisinage de la crevasse qui séparait les deux cavernes, et ils se mêlaient à ceux qui partaient du ravin dans lequel quelques Hurons étaient descendus. En un mot, ces cris effrayants se multipliaient tellement et semblaient si voisins, qu’ils firent sentir mieux que jamais aux quatre individus réfu-