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et qui ne démontât pas son cavalier… Mais enfin, vous vous souvenez qu’alors, si la populace était mécontente d’une nouvelle taxe ou de la stagnation des affaires, elle s’amendait aussitôt, brûlait une ou deux maisons, mettait en fuite un magistrat, allait même parfois jusqu’à assommer un constable… Alors nous arrivions au grand galop, nous brandissions nos épées, et nous avions bientôt balayé la place de toute cette canaille en guenilles. Les juges faisaient le reste, et nous avions tout l’honneur d’une victoire qui nous avait mis un peu hors d’haleine, mais qui, en revanche, avait doublé notre appétit. Mais ici les affaires prennent une tournure bien différente.

— Et quels sont les symptômes les plus alarmants qui se manifestent à présent dans les colonies ? demanda le major Lincoln d’un ton d’intérêt.

— Ces êtres singuliers rejettent leurs aliments naturels pour soutenir ce qu’ils appellent leurs principes ; les femmes renoncent au thé, et les hommes abandonnent leurs pêcheries. C’est à peine si de tout le printemps on a apporté au marché même un canard sauvage, à cause de ce bill contre le port de Boston. Et leur obstination augmente de jour en jour. Grâce au ciel ! si l’on en vient aux coups, nous sommes assez forts pour nous ouvrir un passage jusqu’à quelque endroit du continent où les provisions soient plus abondantes ; et l’on dit d’ailleurs qu’il va nous arriver de nouveaux renforts.

— Si l’on en vient aux coups, ce qu’à Dieu ne plaise ! dit le major Lionel ; nous serons assiégés où nous sommes maintenant.

— Assiégés ! s’écria Polwarth qui prenait déjà l’alarme ; si je pensais que nous fassions menacés d’une calamité semblable, je voudrais demain mon brevet. Nous ne sommes déjà pas trop bien traités maintenant ; notre table d’hôte n’est que très-mesquinement servie, il ne manquerait plus qu’un siège, juste ciel !… C’est pour le coup qu’il faudrait mourir de faim ! Mais non, Lionel, leurs soldats à la minute[1] et leurs milices à longues queues n’oseraient jamais attaquer quatre mille Anglais qui ont une flotte pour les soutenir. Quatre mille ! si les régiments qu’on m’a désignés arrivent en effet, nous serons alors huit mille braves, aussi déterminés qu’il en fut jamais.

  1. Minute-men, c’est-à-dire toujours prêts. Nom donné aux miliciens, et qui sera encore mieux expliqué plus tard.