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mesure que les vapeurs dont il était entouré devenaient moins épaisses, Lionel put distinguer les regards rapides et inquiets qu’il lançait de tous côtés, et qui semblaient errer sur les objets les plus éloignés, comme si son œil perçait le voile qui était étendu devant la plus grande partie de la perspective.

Tandis que Lionel restait immobile à la même place, examinant cet être bizarre avec cette sorte de respect involontaire qu’il avait réussi à lui inspirer, le vieillard agitait la main d’un air d’impatience, comme s’il eût voulu dissiper les ténèbres dont il était enveloppé. Dans ce moment un rayon brillant du soleil se fit jour à travers le brouillard, et, dissipant la vapeur, jeta une clarté soudaine sur toute sa personne. L’expression dure et sévère de sa physionomie, son air hagard et inquiet changèrent au même instant ; un sourire doux et mélancolique se peignit sur tous ses traits et il appela à haute voix le jeune officier :

— Venez ici, Lionel Lincoln, venez au pied de ce fanal ; vous pourrez y recueillir des avertissements qui, si vous savez en profiter, vous guideront sain et sauf à travers bien des dangers.

— Je suis bien aise d’entendre le son de votre voix, dit Lionel en s’avançant de son côté ; vous paraissiez un être d’un autre monde, enveloppé dans ce manteau de vapeurs, et j’étais tenté de tomber à genoux et de demander votre bénédiction.

— Et ne suis-je pas en effet un être d’un autre monde ! Presque tout ce qui pouvait m’intéresser à la vie est déjà dans le tombeau, et je ne prolonge ici mon pèlerinage encore quelques instants que parce qu’il y a une grande œuvre à accomplir, qui ne saurait s’effectuer sans moi. Je vois l’autre monde, jeune homme, beaucoup plus clairement et plus distinctement que vous ne voyez ce tableau mouvant qui est à vos pieds. Là il n’y a point de brouillards pour arrêter la vue, point d’illusions de couleurs, point de prestige des sens.

— Vous êtes heureux, Monsieur, à l’extrême limite de la vie, d’avoir cette assurance. Mais je crains que votre détermination subite d’hier soir, de partager la demeure de cet idiot, ne vous ait exposé à bien des inconvénients.

— Cet enfant est un bon garçon, dit le vieillard en passant la main sur la tête de Job avec complaisance ; nous nous entendons l’un l’autre, major Lincoln ; cela dispense des compliments et rend les relations plus faciles.