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endroits très-peuplés. Les nuits froides d’avril, succédant à la chaleur du jour, avaient engendré un brouillard encore plus épais qu’à l’ordinaire, qui, s’élevant de la surface de l’eau et se glissant furtivement le long des terres pour s’unir aux vapeurs des rivières et des marais, dérobait, dans ses ondulations multipliées, la vue d’une grande partie de l’horizon.

Lionel, debout sur le bord de la plate-forme qui couronnait la colline, jouissait de ce délicieux spectacle. Les maisons et les rochers, les tours et les vaisseaux, les lieux que reconnaissaient ses souvenirs, ceux qu’il avait oubliés, s’offraient successivement à ses yeux à mesure que le brouillard s’entr’ouvrait pour les lui laisser apercevoir. Cette scène, à qui ce changement continuel donnait une nouvelle vie, où tout était animé, semblait à son imagination charmée une sorte de panorama magique qui se déployait sous ses yeux pour son seul plaisir, et il se livrait aux plus douces illusions, lorsqu’il fut tiré de sa rêverie par le son d’une voix qui se fit entendre à peu de distance.

C’était un homme qui chantait sur un méchant air anglais quelques fragments d’une chanson, et, à la fin de chaque vers, il faisait une cadence nasale de l’effet le plus désagréable. Comme il s’interrompait à chaque instant, Lionel finit par saisir quelques paroles qui, répétées par intervalles, semblaient évidemment servir de refrain au reste de la chanson. Le lecteur pourra juger du genre et du style de ces couplets par ce refrain, qui peut servir d’échantillon pour toute la pièce :


Celui qui veut la liberté
Se met en campagne.
L’esclave entêté
Reste, et qu’est-ce qu’il y gagne ?
Il boit son poison de thé.


Lionel, après avoir écouté ce couplet expressif, suivit la direction de la voix jusqu’à ce qu’il eût rencontré Job Pray, qui était assis sur l’une des marches en bois qui conduisaient à la plate-forme ; Job s’amusait à casser quelques noisettes sur le bord d’une planche, tandis qu’il consacrait les intervalles que sa bouche ne pouvait pas employer plus utilement à chanter les beaux vers que nous venons de citer.

— Comment donc, maître Pray, s’écria Lionel en l’apercevant,