le baronnet. Celui-ci, dont les yeux avaient étincelé de rage du moment qu’il avait aperçu celui qu’il regardait comme son ennemi mortel, avait abandonné Abigaïl pour s’élancer contre lui avec la fureur d’un lion assiégé par des chasseurs. La lutte fut courte, mais obstinée, et accompagnée de jurements et d’exécrations sauvages. Mais enfin la force surnaturelle que la colère donnait au baronnet l’emporta sur celle de son adversaire : il parvint à le renverser, et, lui appuyant un genou sur la poitrine, il lui serra la gorge avec ses doigts.
— La vengeance est sainte ! s’écria-t-il en poussant un horrible éclat de rire, et secouant, avec un air de triomphe, ses cheveux gris, qui tombèrent en désordre sur ses yeux égarés ; urim et tumim[1] sont les mots de gloire ! liberté est notre cri ! Meurs, misérable, meurs ! va rejoindre les esprits de ténèbres, et laisse nous respirer en liberté !
L’ancien gardien du baronnet, par un effort soudain, parvint à se dégager de la main qui lui étreignait le cou, et s’écria, non sans difficulté :
— Pour l’amour du ciel et de la justice, secourez-moi ! Verrez-vous assassiner un homme sous vos yeux ?
Mais c’était en vain qu’il implorait du secours. Les deux femmes s’étaient caché le visage, d’horreur et d’effroi ; Polwarth, toujours privé de sa jambe artificielle, ne pouvait faire un pas ; et Lionel, glacé d’épouvante et de consternation, était aussi incapable de mouvement qu’une statue. Le baronnet serrait de nouveau la gorge de sa victime, qui semblait sur le point d’étouffer ; mais le désespoir ranima les forces du gardien, et l’on vit sa main frapper trois fois de suite avec violence le flanc gauche du baronnet ; celui-ci se releva au troisième coup, et poussa encore un grand éclat de rire, mais avec un accent si sauvage, qu’il fit frémir tous les spectateurs. Son antagoniste profita du moment, et, se relevant à la hâte, il s’enfuit de la chambre avec toute la précipitation du crime.
On vit alors que le sang du baronnet coulait à grands flots par trois larges blessures qu’il avait reçues ; et, à mesure que la vie s’épuisait en lui, l’égarement de ses yeux diminuait et la raison
- ↑ Par une singulière coïncidence, tandis que l’auteur écrivait ce livre, un fou privilégié et sans malice entra dans sa chambre ; il était dans un moment d’excitation, et prononça précisément ces deux mots.