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Priscilla. Il ne connut jamais ma situation. Tandis que j’aurais voulu que la terre couvrît ma faute, il me prouva combien il est facile d’oublier dans les jours de sa prospérité ceux dont on devrait partager la honte. Enfin vous naquîtes, et ce fut moi qui reçus son héritier des mains de sa tante courroucée. Quelles maudites pensées m’assaillirent en ce moment ! Mais, Dieu soit loué ! j’eus la force de les repousser, et mes mains ne furent point souillées par un meurtre !

— Un meurtre ! s’écria Lincoln.

— Oui, un meurtre ! Vous ne pouvez savoir quels projets le désespoir inspire au malheur. Mais ma vengeance ne se fit pas attendre bien longtemps, et j’en jouis avec un plaisir infernal. Votre père partit pour l’Angleterre, et une maladie impitoyable attaqua sa femme chérie. Oui, quelque défiguré que soit l’être qui expire sous vos yeux, les traits si charmants de votre mère étaient devenus plus hideux que les siens. Cette victime de l’injustice était sur son lit de mort ce que vous voyez Job en ce moment. Mais le Seigneur est juste, et je dois me soumettre à sa volonté.

— Victime de l’injustice ! s’écria Lionel ; continuez, femme, et je pourrai encore vous bénir.

Abigaïl poussa un gémissement si profond, que ceux qui l’entendaient crurent que c’était le dernier soupir annonçant la fin de la lutte de l’esprit de son fils, cherchant à rompre les liens du corps. Elle se laissa retomber sur son escabelle, baissa la tête sur ses genoux, et se cacha le visage avec son tablier.

— Victime de l’injustice répéta Ralph avec le ton du sarcasme le plus méprisant. Quelle punition ne mérite pas une femme qui oublie ses devoirs !

— Oui, victime de l’injustice ! s’écria Lionel, je le garantis sur ma vie ; ce que tu m’as dit est un infâme mensonge.

Le vieillard ne répondit rien, mais ses lèvres s’agitèrent rapidement comme s’il se fût parlé à lui-même, avec un sourire de mépris et d’incrédulité.

— Je ne sais ce qu’il peut vous avoir dit, continua Abigaïl, mais je prends le ciel à témoin que pas un mensonge ne sort maintenant de ma bouche. Les lois de la province ordonnaient que ceux qui étaient attaqués de la petite vérole fussent exclus de toute communication, et votre mère resta à ma merci et à celle d’une autre femme qui la détestait encore plus que moi.