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— Vraiment, on pourrait m’appeler son père et son fils. J’ai dans le camp quatre fils, et sept petits-fils par-dessus le marché, et cela ferait onze bons mousquets dans la famille si nous avions pu nous en procurer plus de cinq ; mais les six autres ont quatre canardières et un fusil à deux coups, et Aaron, le plus jeune, a un pistolet d’arçon aussi bon, je crois, qu’aucun de ceux qu’on puisse avoir dans toute la colonie. Mais quel tapage vous faites aujourd’hui ! vous dépenses plus de poudre qu’on n’en a usé à Bunker-Hill !

— C’est une ruse de guerre, mon brave homme : c’est pour que les troupes du roi ne songent pas à regarder du côté de Dorchester.

— Quand elles y regarderaient, elles ne pourraient pas voir bien loin puisqu’il fait nuit. Mais dites-moi donc, car je suis vieux et j’ai un grain de curiosité, est-il vrai, comme ma femme me l’a dit, que Howe vous jette ses carcasses[1] dans le camp avec ses mortiers ? c’est, selon moi, une histoire irréligieuse.

— Vrai comme l’Évangile.

— Eh bien ! on ne saurait dire jusqu’où la méchanceté de l’homme peut porter l’oubli de Dieu et le mépris de ses semblables. Tout ce qu’on aurait pu me dire sur Howe, je l’aurais cru, excepté cela. Mais, comme il ne reste guère d’habitants dans la ville, je suppose qu’il se sert de ses soldats tués ?

— Certainement, lui répondit le soldat en faisant un clin d’œil à ses camarades ; la bataille de Breeds lui a fourni des munitions pour tout l’hiver.

— C’est terrible, terrible ! Voir le corps d’un de ses semblables fuir dans les airs après que son âme est allée subir son jugement[2] ! La guerre est un cruel métier ! mais qu’est-ce que l’homme sans liberté ?

— À propos de fuir, mon vieux, avez-vous vu deux hommes et une femme fuir sur la route en venant ici ?

— Parlez plus haut, j’ai l’oreille dure. Des femmes, dites-vous ? Quoi ! est-ce qu’ils vous lancent aussi leurs Jézabels dans le camp ? Il n’y a rien que la méchanceté des ministres du roi

  1. Carcasses : espèce de bombes en cercles. Cette expression a causé la méprise de la femme et du mari, ou plutôt a fourni à l’auteur un de ces jeux de mots qu’il affectionne particulièrement.
  2. Nous venons d’expliquer dans la note précédente la méprise sur le mot carcasse, et le soldat laisse croire à son interlocuteur que ce mot est synonyme de cadavre.