Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/350

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

venait de donner un festin aux principaux chefs de son armée ; les autres en sortaient chargés des débris d’un repas qui, quoique somptueux, se ressentait pourtant de la disette du temps, et avait été plus satisfaisant pour les yeux que pour l’appétit. Des soldats en négligé militaire promenaient leur inutilité dans les vestibules, et jetaient un regard d’envie sur la desserte de table, que les laquais qui servaient déposaient entre les mains de valets subalternes pour la placer en lieu de sûreté. Mais, malgré la vie et l’activité qui régnaient, tous les mouvements se faisaient en silence et avec régularité, et toute cette scène offrait une preuve évidente du mérite de l’ordre et de la discipline militaire.

Dans l’intérieur de l’appartement vers lequel tous les regards semblaient se diriger comme sur un point central, rien ne manquait de ce que pouvaient désirer ceux qui s’y trouvaient rassemblés. Un excellent feu brillait dans le foyer de la cheminée ; le plancher mal joint était couvert par un riche tapis, et les croisées disparaissaient presque sous les plis des rideaux de beau damas qui les garnissaient. Tout y avait un air de recherche, quoique mêlée d’une sorte de négligence élégante. Tout, jusqu’aux moindres objets qui composaient l’ameublement, avait été tiré de ce pays qu’on regardait alors comme possédant le monopole de tous les arts qui peuvent embellir la vie. Ceux même qui attachent peu de prix à l’existence dans le moment du danger, aiment pourtant à en égayer le cours en se procurant toutes leurs aises, quand l’occasion le permet.

Au centre de ce bel appartement était placée la table hospitalière de celui qui présidait au festin. Elle était entourée d’hommes portant les emblèmes d’un haut rang militaire, quoiqu’on vît çà et là quelques individus que leur costume plus simple et leur air d’embarras annonçaient comme étant du nombre de ces colons dont la confiance dans le pouvoir irrésistible de la couronne d’Angleterre commençait déjà à chanceler. Howe occupait sa place ordinaire au haut bout de la table, et ses traits bruns exprimaient toute la cordialité d’un soldat, tandis qu’il désignait à ses convives tel ou tel flacon parmi le nombre de ceux qui contenaient les meilleurs vins de l’Europe.

— Quoique assis à la table d’un général anglais, vous avez fait mauvaise chère aujourd’hui, Messieurs, dit-il ; mais après tout, il ne vous a manqué que ce qui fait l’aliment le plus nourrissant