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que, s’il avait songé au maître, il n’oubliait pas le valet ; car il se dédommageait de la fatigue d’une nuit passée à veiller, en s’accordant pendant la matinée quelques heures d’un repos qui lui paraissait d’autant plus délicieux qu’il le prenait à la dérobée.

Mille souvenirs se présentèrent en même temps à l’esprit de Lionel, et il se passa quelques instants avant qu’il pût séparer la vérité de ce qui n’était qu’imaginaire, et se rappeler à peu près ce qui lui était advenu pendant le siècle qu’avait duré pour lui sa maladie. Se soulevant sans difficulté sur un coude, il se passa la main une ou deux fois sur le visage et appela Meriton. Le valet s’éveilla sur-le-champ, reconnut la voix de son maître, et, se frottant les yeux comme un homme qui se réveille en sursaut, se hâta de lui répondre.

— Comment donc, Meriton ! dit le major Lincoln, vous dormez aussi profondément qu’un soldat de milice à son poste. Je suppose qu’on vous a mis au vôtre en vous donnant, plutôt deux fois qu’une, la consigne d’être vigilant.

Meriton resta la bouche ouverte, comme s’il eût voulu dévorer les paroles qui sortaient de celle de son maître au lieu de les écouter, — et lorsque Lionel eut fini de parler, le valet se frotta les yeux plusieurs fois, mais par un autre motif que la première ; car c’était pour essuyer les larmes qui en sortaient. Enfin il s’écria :

— Dieu merci ! Monsieur, Dieu soit loué ! vous voilà enfin rendu à vous-même, et tout va marcher comme autrefois. Oui, oui, Monsieur, vous irez bien à présent ; vous irez bien pour cette fois. C’est un vrai prodige que cet homme ! c’est le plus grand chirurgien de Londres. Nous retournerons dans Soho-Square à présent, et nous y vivrons en citoyens paisibles. Grâce à Dieu, Monsieur, grâce à Dieu, je vous vois sourire, et j’espère que, si quelque chose n’allait pas à votre gré, vous serez bientôt en état de me jeter un de ces regards de travers que je connais si bien, et qui me font venir le cœur à la bouche, quand je sais que j’ai oublié mon devoir.

Meriton, malgré sa fatuité, avait un attachement véritable pour son maître, qu’il servait depuis longtemps ; cet attachement s’était encore accru par les soins qu’il lui avait donnés pendant sa maladie, et les larmes de joie qu’il ne pouvait retenir le forcèrent à interrompre les expressions sans suite que ce sentiment lui inspirait. Lionel fut trop touché de cette preuve d’affection