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passaient un regard d’indignation et de fierté. Lionel arrêta son cheval qui allait fouler aux pieds un homme étendu, et le regarda un instant. C’était le corps inanimé d’un vieillard dont les cheveux blancs, les joues creuses et le corps décharné prouvaient que la balle qui lui avait ôté la vie n’avait fait que prévenir de quelques jours les décrets irrésistibles du temps. Il était tombé sur le dos ; son œil fier, même après sa mort, exprimait le ressentiment qui l’avait animé en combattant, et sa main était encore serrée autour d’un mousquet rouillé, aussi vieux que lui-même, dont il s’était armé pour prendre la défense de ses concitoyens.

— Comment finira une lutte à laquelle de pareils champions croient devoir prendre part ? s’écria Lionel en voyant l’ombre d’un autre spectateur tomber sur les traits pâles du défunt. Qui peut dire où s’arrêtera ce torrent de sang, et combien il entraînera de victimes ?

Ne recevant pas de réponse, il leva les yeux, et vit qu’il avait, sans le savoir, adressé cette question embarrassante à l’homme dont la précipitation bouillante avait causé ce commencement d’hostilité : c’était le major de marine, qui regarda un instant ce spectacle d’un œil presque égaré, et qui, sortant tout à coup de cette stupeur momentanée, se redressa sur son cheval, lui enfonça ses éperons dans les flancs, et disparut dans un brouillard de fumée, brandissant son sabre et s’écriant : — En avant l’avant-garde ! en avant !

Le major Lincoln le suivit plus lentement, réfléchissant sur la scène qu’il venait de voir ; mais, à sa grande surprise, il vit Polwarth, assis sur un fragment de rocher bordant la route, et qui, d’un air indolent et tranquille, regardait le corps d’armée continuer sa retraite. Il retint son cheval, et lui demanda s’il était blessé.

— Non, major Lincoln, répondit le capitaine, je ne suis que fondu. J’ai fait aujourd’hui plus qu’il n’est au pouvoir d’un homme, et je ne puis en faire davantage. Si vous voyez jamais quelques-uns de mes amis en Angleterre, dites-leur que j’ai subi mon destin comme le doit un soldat stationnaire. Je fonds littéralement en ruisseaux comme la neige en avril.

— Juste ciel, Polwarth ! vous ne resterez pas ici pour vous faire tuer par les Américains ! Vous voyez qu’ils nous enveloppent de toutes parts.