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sants qu’elles-mêmes, ajoutaient beaucoup à la beauté de la scène. Mildred, dans son allure, était vive, sinon ardente, et légèrement animée ; Anna était calme, quoique impressionnable, changeant sans cesse de couleur, à mesure que ses pensées se rapprochaient de l’objet important qui allait décider de son existence.

— Votre oncle m’a apporté des lettres de la ville, hier soir, chère Anna, commença Mildred. L’une vient de M. de Larocheforte ; n’est-ce pas étrange ?

— Qu’y a-t-il de si étrange à ce qu’un mari écrive à sa femme ? Cela me paraît la chose la plus naturelle du monde.

— En vérité ? Je suis surprise de vous entendre parler ainsi, vous, Anna, que je regardais comme ma sincère amie. J’ai congédié M. de Larocheforte, et il doit respecter mon bon plaisir.

— Il eût mieux valu le congédier avant le mariage qu’après, ma chère institutrice, répondit Anna.

— Ah ! votre chère institutrice, en vérité ! Oui, j’ai été votre institutrice, Anna, et il eût été préférable pour moi de finir mon éducation dans mon pays. J’aurais évité ainsi ce malheureux mariage. Ne vous mariez pas, Anna ; croyez-moi, ne vous mariez jamais. Le mariage n’est pas fait pour des femmes comme il faut.

— Depuis combien de temps êtes-vous de cette opinion, ma chère amie ? demanda la jeune fille en souriant.

— Depuis que j’ai été à même de comprendre combien un pareil engagement brise l’indépendance d’une femme, combien il lui donne un maître absolu, combien enfin est humiliant et dégradant le lien qui l’enchaîne. Ne sentez-vous pas la force de mes raisons ?

— J’avoue que je ne la saisis pas, répondit Anna d’une voix basse, quoique claire et distincte. Je ne vois rien d’humiliant ni de dégradant dans la soumission d’une femme à son mari. C’est la loi de la nature, et pourquoi voudrions-nous la changer ? Ma mère m’a inculqué ces principes, et vous m’excuserez de vous dire qu’ils s’accordent avec ceux de la Bible.

— La Bible ! oui, c’est un bon livre, bien qu’on le lise peu en