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Il tire aussi peu d’eau que l’Ariel, et il n’est jamais à sec. Si vous avez la même facilité pour remplir votre soute à eau-de-vie que pour la vider, le congrès en approvisionnera cette frégate à bon marché.

Les autres officiers se servirent avec encore plus de modération. Griffith mouilla à peine ses lèvres, et le pilote refusa le verre qui lui fut offert. Le capitaine Munson se leva, et ses officiers, voyant que leur présence n’était plus nécessaire, le saluèrent et se retirèrent. Comme Griffith sortait le dernier, il sentit une main s’appuyer doucement sur son épaule ; il se retourna, et vit le pilote.

— Monsieur Griffith, lui dit-il quand ils furent seuls avec le commandant de la frégate, les événements de la nuit dernière doivent nous apprendre à nous accorder une confiance mutuelle, sans quoi nous nous chargeons d’une entreprise dangereuse et inutile.

— Le risque est-il égal ? lui demanda le jeune lieutenant. Chacun me connaît pour être ce que je parais. Je suis au service de mon pays. J’appartiens à une famille dont le nom honorable garantit ma fidélité à la cause de l’Amérique. Et cependant je vais me hasarder sur une terre hostile, au milieu d’ennemis, presque seul, et dans des circonstances où la trahison serait ma perte. Quel est donc l’homme qui obtient de vous tant de confiance, capitaine Munson ? Je vous fais cette question moins pour moi-même que pour les braves gens qui me suivront avec intrépidité partout où je voudrai les conduire.

Un sombre nuage de déplaisir parut d’abord couvrir le front du pilote pendant que Griffith s’exprimait ainsi, et il parut ensuite plongé dans de profondes réflexions. Le commandant prit la parole :

— Il y a dans votre question, monsieur Griffith, une apparence de raison ; mais ce n’est pas à vous que j’ai besoin de rappeler que j’ai droit de compter sur une obéissance aveugle et muette. Ni ma naissance ni mon éducation ne me donnent les mêmes prétentions qu’à vous, Monsieur, et cependant le congrès n’a pas cru devoir oublier le nombre de mes années de service ; je commande cette frégate, et…

— N’en dites pas davantage, reprit le pilote en l’interrompant ; les doutes de ce jeune homme sont naturels, et il faut les dissi-