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maître s’arrêtant à une hauteur suffisante, aperçut la barque à quelque distance du rivage.

— Hohé ! ho ! les Ariels ! s’écria Tom d’une voix que le vent qui soufflait alors de la mer porta jusqu’aux oreilles des soldats qui se retiraient ; mais les idées superstitieuses avaient alors complètement établi leur empire sur leur imagination ; ils regardèrent comme surnaturels les sons qu’ils entendaient, et doublèrent encore le pas pour s’éloigner plus vite.

— Qui nous hèle ? répondit la voix bien connue de Barnstable.

— Jadis votre maître[1], aujourd’hui votre serviteur, s’écria Coffin.

— C’est lui ! s’écria le lieutenant ; virez de bord, mes enfants, et gagnez le rivage.

Pendant ce temps, Coffin, suivi de Dillon, acheva de descendre le rocher. La barque arriva, mais l’eau n’était pas assez profonde pour qu’elle pût atteindre le rivage. Le contre-maître, saisissant par le milieu du corps son prisonnier surpris et effrayé de ce nouveau mouvement, le mit sur son épaule aussi facilement que si c’eût été un havresac, entra dans la mer, et au bout de deux minutes le déposa dans la barque à côté de son commandant.

— Qui nous amenez-vous là ? demanda Barnstable ; ce n’est pas M. Griffith.

— Levez votre grappin, et virez de bord ! s’écria Coffin ; et si vous aimez l’Ariel, camarades, faites force de rames tant que la vie et les bras vous resteront.

Barnstable connaissait son homme et il ne lui fit pas une question jusqu’à ce que la barque, tantôt lancée sur le sommet des vagues, tantôt retombant dans le sillon qui s’ouvrait entre elles, eût enfin gagné la pleine mer. Alors le contre-maître lui expliqua en peu de mots, mais non sans amertume, la trahison de Dillon et le danger que courait l’Ariel.

— Mais, continua-t-il, des soldats ne sont jamais bien pressés de répondre à un appel nocturne, et d’après ce que je comprends, l’exprès sera obligé de faire un long détour pour doubler l’anse que nous venons de quitter ; de sorte que sans ce maudit vent de nord-est, nous aurions encore le temps de sortir de la baie pour gagner la pleine mer ; mais c’est ce qui dépend entièrement de la Providence. Allons, camarades, courage, ramez fort ! tout dépend maintenant de vos bras.

  1. Jeu de mots : maître, contre-maître.