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jadis, suivant la tradition, le réfectoire du petit essaim de belles recluses, qui cherchaient entre les murs de l’abbaye de Sainte-Ruth un abri contre les tentations du monde. Le nombre n’en devait donc pas être considérable, sans quoi cette salle n’aurait pu les contenir. Elle était meublée de tout ce que le luxe pouvait offrir de plus commode, sinon de plus recherché. L’ample draperie des grands rideaux de damas bleu, suspendus aux croisées qui se trouvaient percées à droite et à gauche, cachait presque entièrement le beau cuir doré qui tapissait les espaces intermédiaires. Des sofas et des pièces d’acajou sculpté offraient sur leurs coussins la même étoffe que celle des rideaux. Le plancher était couvert d’un tapis de Turquie, sur lequel toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, irrégulièrement réunies, égayaient la sombre et monotone splendeur d’une énorme cheminée, des lourdes corniches et des lambris sculptés. Un grand feu de bois pétillait dans l’âtre de la cheminée, par égard pour les préjugés de miss Plowden, qui avait déclaré, avec sa vivacité ordinaire, que le feu du charbon de terre ne pouvait convenir qu’à des forgerons ou à des Anglais. À la flamme du foyer se mêlait la clarté de deux bougies, placées dans des chandeliers d’argent ; sur le tapis, dont les reflets des bougies faisaient ressortir les brillantes nuances, était une jeune personne dans une attitude qui rappelait les grâces de l’enfance, et quiconque n’aurait pas connu les motifs de son occupation aurait cru qu’elle s’en retraçait encore les jeux. Elle était entourée de petits morceaux de soie de différentes couleurs, que ses mains agiles disposaient suivant toutes les combinaisons qui se présentaient à son imagination. Une robe de satin noir serrait sa taille svelte, et en faisait valoir l’élégance ; mais ses yeux étaient surtout séduisants par leur éclat et leur vivacité. Quelques rubans d’un rose vif, disposés avec une négligence un peu étudiée, semblaient emprunter leur riche nuance au vermillon d’une physionomie animée, dont les grâces permettaient à peine de remarquer qu’elle avait la peau un peu brune.

Une autre jeune personne en robe blanche était assise sur le coin d’un sofa. La réclusion dans laquelle elle vivait l’avait peut-être rendue insouciante sur sa parure, ou, ce qui est plus probable, le peigne n’avait pu contenir les longues tresses de ses cheveux noirs qui tombaient avec profusion sur son cou et sur ses épaules ; la plus jolie main d’albâtre disparaissait en partie sous la soie qui