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ment marchand, où elle prend ordinairement de quinze à vingt minutes. Il faut d’abord que le bâtiment mette en panne, et perde son aire, autant que possible ; puis c’est la sonde qu’il faut disposer, les hommes qu’il faut placer. Pendant ce temps, le jour tombait de plus en plus ; une petite pluie fine ajoutait à l’obscurité, et Marc était plus que jamais convaincu de la position dangereuse du navire.

La sonde apprit qu’on ne trouvait pas le fond à quatre cents brasses. Ce n’était pas un indice concluant, même pour l’incrédule Hillson car on savait très-bien que les bancs de corail s’élèvent souvent dans l’Océan comme des murs perpendiculaires, sans qu’on puisse soupçonner leur présence même à une encâblure de distance. De son côté Marc ne croyait pas qu’on en fût encore très-près, car la vue porte loin du haut d’une élévation comme celle des barres de perroquet, et l’écume blanche ne s’était montrée à ses yeux que tout à l’extrémité de l’horizon occidental.

Après une nouvelle conférence avec ses officiers, pendant laquelle Hillson n’avait pas épargné les épigrammes à son supérieur moins expérimenté, le capitaine Crutchely se décida pour un parti qu’on pourrait appeler demi-prudent. Il n’y a rien qui répugne plus un marin que de paraître s’effrayer trop aisément d’un danger qui n’est pas certain. Que ce danger soit constant, hors de toute contestation, il ne se fera point scrupule de mettre tout en œuvre pour l’éviter ; mais qu’il y ait doute, ce misérable sentiment de vanité qui nous porte tous faire violence à notre nature, nous fait affecter de l’indifférence même quand nous avons peur. Dans les circonstances où le capitaine Crutchely se trouvait placé, le parti le plus sage eut été de courir bord sur bord en faisant peu de voile, jusqu’au lendemain matin où il aurait pu remettre le cap en route avec plus de confiance. Mais ç’aurait été une sorte de concession faite à l’influence d’un danger inconnu, et le vieux marin se fût cru déshonoré en cédant à un sentiment de crainte. Il résolut donc de faire la même route, avec les ris pris dans les huniers, mais