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propos de diminuer de voiles, de mettre en panne et de jeter la sonde. Mais le capitaine n’en tint aucun compte. Il jura que les matelots étaient toujours prêts à croire qu’ils allaient donner contre des bancs de corail, et qu’il n’y aurait pas de raison pour qu’on arrivât jamais s’il se prêtait à toutes les fantaisies de cette nature. Par malheur, le lieutenant en second était un vieux matelot qui ne devait son poste qu’au goût immodéré que, comme son patron, il avait pour les liqueurs fortes, et il venait justement de se griser avec lui. Cet homme encouragea le capitaine dans le mépris qu’il faisait de ces sottes terreurs, et Marc se vit réduit au silence.

Cependant notre jeune officier n’était pas tranquille. Le matelot qui avait fait le rapport était un homme sûr, incapable de dire ce qu’il n’aurait pas cru vrai. Il était alors six heures, du soir, et Marc, qui venait d’être relevé du quart, profita de sa liberté pour monter dans les barres de perroquet, afin de profiter des derniers rayons du jour pour faire lui-même ses observations. D’abord il ne put rien distinguer à plus d’un mille de distance, à cause de la brume ; mais au moment où le soleil entrait dans la mer, il se fit une clarté à l’ouest, et Marc vit alors distinctement ce qu’il reconnut ne pouvoir être que des brisants, qui se prolongeaient dans une étendue de plusieurs milles à travers la route du bâtiment.

Une pareille découverte ne permettait pas d’hésiter, et le jeune marin cria aussitôt :

— Des brisants à l’avant !

Ce cri, poussé par le premier lieutenant, tira de son assoupissement le capitaine lui-même, qui commençait à se remettre de l’effet de ses libations ; mais il fut sans effet sur son compagnon qui n’avait jamais pardonné à un tout jeune homme comme Marc d’avoir obtenu un poste qu’il lui semblait qu’un homme de son âge et de son expérience aurait rempli beaucoup mieux. Il fit des gorges-chaudes de ce qu’on s’obstinait à parler de brisants sur un point de l’Océan où la carte indiquait une mer parfaitement libre ; mais le capitaine n’ignorait pas que les cartes