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se convaincre qu’en une journée il en prendrait plus que son embarcation n’en pourrait porter. Il se contenta, pour cette fois, de quelques douzaines, détacha l’amarre, hissa ses voiles, et continua à manœuvrer pour gagner dans le vent.

Le désir de Marc était de s’assurer de la nature et de l’étendue des bas-fonds dans cette direction. Bientôt il fut à dix milles au vent de l’île. Les mâts du bâtiment lui servaient de fanal, car le Cratère avait disparu derrière l’horizon, ou, s’il se montrait, ce n’était qu’à de rares intervalles, lorsque la Brigitte s’élevait sur une lame, et alors c’était une simple colline qui paraissait presque à fleur d’eau. Marc avait même de la peine à distinguer les mâts dégarnis, et, sans la boussole qui lui indiquait la direction, il n’y serait jamais parvenu.

Quant aux bas-fonds, aucun bloc de rocher ne sortait de la mer devant lui, mais des signes certains annonçaient la présence d’écueils. Ces écueils devaient embrasser une zone d’au moins vingt milles, car il en avait déjà fait plus de quinze sans pouvoir en sortir. À cette distance de sa demeure solitaire, sans aucune terre en vue, Marc Woolston mit en panne et procéda à son frugal repas. La fraîcheur de la brise l’avait décidé à prendre des ris, et, sous ce peu de voilures, il trouva la Brigitte telle qu’il pouvait la souhaiter. La journée avançait, et il jugea prudent de virer de bord et de retourner au Cratère. Au bout d’une demi-heure, il apercevait de nouveau les mâts du Rancocus ; et, dix minutes après, le Sommet se montrait à l’horizon.

Notre jeune marin avait eu l’intention de rester en mer toute la nuit, si le temps eût été favorable. Il aurait voulu éprouver comment le bateau se serait comporté pendant son sommeil, et reconnaître en même temps l’extrême limite des bas-fonds. Délivré de la crainte de manquer jamais d’aliments par l’étonnante fertilité du Cratère, et pouvant disposer de son temps sans s’épuiser à travailler, il avait formé le projet de croiser pendant plusieurs jours de suite en dehors des écueils, dans l’espoir de rencontrer quelque bâtiment de passage qui aurait pu le recueil-