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répondit froidement Gardiner, quoique en lui-même il fut fort inquiet. Lors même que le diacre Pratt me le pardonnerait si je perdais son schooner, je ne me le pardonnerais jamais à moi-même.

— Si le schooner périssait, capitaine Gar’ner, il ne resterait que peu d’hommes de l’équipage pour éprouver des remords ou de la joie. Voyez cette côte, Monsieur, maintenant qu’elle se montre clairement à nos regards et qu’on peut en apercevoir une assez grande étendue ; jamais je n’ai vu une terre sur laquelle on fût moins tenté d’aller échouer.

Toute la côte était basse et l’on voyait une ligne non interrompue de brisants qui s’élançaient en pointes brillantes ne laissant aucun doute sur le danger qu’ils indiquaient. Il y avait des moments où des colonnes d’eau jaillissaient dans l’air, et l’écume en allait tomber sur la terre à des milles de distance. C’est alors que le visage des marins devenait sombre, car ils comprenaient parfaitement la nature du danger dont ils étaient menacés.

Les nouvelles recrues montraient le moins d’inquiétude, ne sachant rien et ne craignant rien, suivant l’expression habituelle des vieux matelots lorsqu’ils veulent caractériser l’indifférence des mousses et des hommes de terre.

D’après les calculs de ceux qui se trouvaient à bord du Lion de Mer d’Oyster-Pond, on avait encore deux milles à dériver avant de se trouver au milieu des brisants. Le vaisseau courait en ce moment la meilleure bordée, suivant toute apparence. Virer maintenant aurait été hasardeux, puisque chaque ligne, pour ainsi dire, avait de l’importance. L’espoir secret de Gardiner était de trouver le passage qui conduisait à Carrituck, passage qui était alors ouvert, et qui, depuis, a été fermé, en tout ou en partie, par les sables. Cela arrive souvent sur les côtes de l’Amérique, où l’on trouve aujourd’hui des passages très-suffisants, qui seront fermés quelques années plus tard et transformés en une grève. L’eau qui est contenue dans l’intérieur gagne ensuite du terrain, déborde et s’ouvre un canal, qui subsiste jusqu’à ce que le sable apporté par les vents vienne le combler.

Gardiner savait qu’il longeait la partie la plus dangereuse de