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— Je le sais, répondit la veuve, je le sentais bien en les entendant ; mais que pouvait y faire une pauvre femme ? Et quand on pense que M. Pratt est diacre du meeting !

— Ainsi cette conversation avait lieu ouvertement en votre présence, devant vous, madame ?

— Non pas précisément. Ils parlaient, et j’entendais ce qui se disait, comme cela arrive lorsqu’on n’est pas loin de ceux qui parlent.

L’étranger n’insista point. Il avait été élevé dans un pays d’écouteurs. Une île qui est privée de presque toute communication avec le reste de la terre, et dont les deux tiers des habitants mâles sont forcés à des absences périodiques, doit avoir atteint la perfection dans l’art du commérage, qui comprend celui d’écouter aux portes.

— Oui, dit-il, il y a bien des choses qu’on apprend, l’on ne sait trop comment. Ils parlaient donc d’îles et de veaux marins ?

À cette question, la veuve répondit en révélant au capitaine Dagget tous les détails qu’elle trouva dans sa mémoire. À mesure qu’elle avançait dans le récit des conférences secrètes qui avaient eu lieu entre le diacre Pratt et le vieux matelot, son zèle augmentait, et elle n’omit rien de ce qu’elle avait entendu, en y ajoutant beaucoup de ce qu’elle n’avait pas entendu.

Mais le capitaine Dagget était accoutumé à de pareils récits, et il savait le degré de foi qu’il devait y prêter. Il écoutait avec la résolution de ne pas croire plus de la moitié de ce qu’on lui disait, et, grâce à une longue expérience, il réussit admirablement à séparer la partie croyable du récit de cette femme de celle qui était vraiment incroyable. Ce qui jetait beaucoup d’obscurité sur le récit de la veuve White, c’est qu’elle n’avait point assisté à la conférence la plus importante. En somme, le capitaine Dagget ne doutait plus que le diacre ne sût l’existence de l’île des veaux marins, quoiqu’il n’eût point la certitude que le bruit du trésor caché fût arrivé jusqu’à M. Pratt. L’achat et l’équipement du Lion de Mer coïncidant avec le récit de la veuve, suffisaient pour convaincre un homme de son expérience qu’il s’agissait d’une expédition pour aller à la chasse des veaux marins.