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nous ne vivrons peut-être pas assez longtemps pour aller jusqu’au navire naufragé, car il me semble qu’il fait de plus en plus froid.

— Je m’étonne de ne plus entendre de cris, dit Roswell ; un homme qui a poussé un tel cri doit avoir assez de force pour le pousser encore.

— Il ne faut jamais calculer d’après les nègres, reprit Stimson, qui avait les préjugés américains contre cette race qui a été si longtemps esclave dans le pays. Ils sont assez portés à crier mais si on ne leur répond pas, ils se taisent aussi vite. Le sang noir ne peut supporter le froid comme le sang blanc, capitaine Gar’ner, pas plus que le sang blanc ne peut supporter la chaleur comme le sang noir.

— On m’a déjà dit cela, Stimson, et j’ai été surpris que le cuisinier du capitaine Dagget fût le seul qui, cette nuit, eût la force de crier.

Ils continuèrent de marcher. Roswell crut entendre encore un cri comme celui qui l’avait décidé à cette dangereuse entreprise par une nuit si terrible. Cette fois cependant le cri était difficile à expliquer ; il ne semblait pas venir directement de l’endroit où se trouvait le navire naufragé.

— Ce dernier cri, dit Stimson, part d’un point qui est plus près des montagnes que nous n’en sommes maintenant, et pas du tout de là-bas, du côté de la mer. J’en suis si sûr, que je suis d’avis de changer un peu de route pour voir si quelqu’un des hommes du Vineyard ne s’est pas exposé à quelque péril pour nous trouver.

Roswell éprouvait le même désir, car il avait fait la même conjecture, quoiqu’il ne pensât pas qu’on eût choisi le nègre pour remplir cette commission dans de telles circonstances.

— Je crois, dit-il, que le capitaine Dagget serait venu lui-même, ou qu’il aurait chargé de cette mission quelqu’un de ses officiers, au lieu de la confier à un nègre.

— Nous ne sommes pas sûrs, Monsieur, que ce soit le nègre que nous avons entendu. La détresse fait pousser à peu près les mêmes cris, qu’ils viennent de la gorge d’un blanc ou d’un nègre.