Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 27, 1847.djvu/130

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

CHAPITRE XI.


Notre vie était changée. Un autre amour commença à entrelacer sa trame solitaire ; mais le fil d’or était tressé entre mon cœur et celui de ma sœur.
Willis.


Une demi-heure après, nous étions assis à table, mangeant notre dîner aussi tranquillement que si nous eussions été dans une auberge. Le domestique qui avait mis la table était un vieux serviteur qui, depuis un quart de siècle, remplissait dans la maison les mêmes fonctions. Aussi, n’était-ce pas un Américain ; car aucun homme en Amérique ne reste si longtemps dans une condition inférieure. S’il a de bonnes qualités qui puissent inspirer le désir de le conserver, il est presque certain de s’avancer dans le monde ; sinon, on n’est guère soucieux de le garder. Mais les Européens sont moins changeants et moins ambitieux, et il n’est pas rare de les voir rester longtemps au même service.

John cependant, quoiqu’il fît preuve de constance, avait quelques-uns des sentiments d’un domestique envers ceux qu’il ne croyait pas au-dessus de lui. Il avait mis le couvert avec la propreté et la méthode accoutumées, et servi la soupe avec la même régularité que si nous eussions paru dans nos caractères véritables : mais ensuite il se retira. Il se rappelait probablement que le maître ou le premier domestique d’un hôtel anglais a l’habitude de faire son apparition avec la soupe, pour disparaître ensuite avec elle. Ainsi fit-il ; après avoir desservi la soupe, il approcha une servante de mon oncle, montra un couteau à découper, comme pour dire « servez-vous vous-mêmes » et quitta la chambre. Comme nous devions nous y attendre, notre dîner n’était pas trop recherché, l’heure ordinaire étant d’ailleurs devancée, quoique j’entendisse ma grand’mère commander une ou deux friandises, à la grande surprise de Patt. Parmi les choses extraordinaires pour de tels convives, figurait du vin. Cette singularité était toutefois expliquée, tant bien que mal, par la qualité du liquide ; c’était du vin du Rhin.