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juger à propos de relever ma remarque, qui, pourtant, le fit beaucoup rire, la nouvelle hôtesse, qui vient du Connecticut, comme vous savez, me dit comme ça : Où allez-vous, monsieur l’homme de couleur ? C’était bien honnête, n’est-il pas vrai ?

— Voyons, abrégeons. Nous ne pouvons pas nous arrêter ici éternellement.

— Je répondis que je retournais à Satanstoe, d’où j’étais parti il y avait bien longtemps. Vous ne devineriez jamais ce qu’elle me dit ?

— Non, c’est pourquoi vous ferez mieux de me l’apprendre.

— Qu’est-ce que vous appelez de cet affreux nom ? me dit-elle en allongeant la figure comme si elle voyait quelque revenant. Satanstoe ! l’Orteil de Satan ! c’est, sans doute, Dibbleton (ville du Diable) que vous voulez dire. Les gens comme il faut n’appellent plus le Col autrement. — Avez-vous idée de cela ?

— Oh ! oui, je sais que depuis trente ans on fait, de tous côtés, la guerre aux anciens noms. Avez-vous oublié, Jaap, qu’un Yankee n’est jamais content, à moins qu’il ne trouve moyen de faire quelque changement ? Il emploie la moitié de son temps à changer la prononciation de ses noms, et l’autre moitié à altérer celle des nôtres. Qu’il appelle le Col comme il l’entendra ; vous et moi, nous l’appellerons toujours Satanstoe.

— Oui, oui ; est-ce que, d’ailleurs, tous ceux qui ont des yeux ne peuvent pas voir l’endroit où Satan a laissé l’empreinte de son orteil ? Il ne faut pas être malin pour cela.

Laissant Jaap libre de continuer tout seul la conversation, s’il le jugeait convenable, je remis mon cheval au petit trot.

— N’est-il pas singulier, mon frère, me dit Catherine en me suivant, que des étrangers aient ainsi la manie de changer le nom de la propriété de ma grand-mère ? Sans doute ce n’est pas un nom bien distingué ; mais voilà plus d’un siècle qu’il est en usage, et il a du moins pour lui la durée.

— Oui, ma chère ; mais vous ne savez pas ce que c’est que les prétentions, la vanité, la sottise des petits génies ? Tout jeune que je suis, j’ai assez vécu pour savoir qu’il règne parmi nous un certain esprit, qui s’appelle ambitieusement esprit de progrès, lequel s’apprête à détruire des choses bien plus importantes que