Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/315

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à plus forte raison de celle d’un être ayant une âme qui n’a besoin que d’être purifiée pour jouir, pendant toute l’éternité, de la présence du Tout-Puissant !

— J’espère et je crois, murmura de nouveau Mille-Acres, que, dans le monde où nous allons, il n’y aura ni loi ni procureur.

— C’est ce qui vous trompe, Aaron, c’est ce qui vous trompe. Là-bas, c’est toute loi, toute justice, toute équité. Cependant, que Dieu me pardonne si j’outrage quelqu’un, — à vous parler franchement, comme il convient à deux mortels qui sont si près de leur fin, je ne crois pas qu’il y ait là-bas beaucoup de procureurs pour troubler ceux qui seront appelés à comparaître devant la cour céleste. La manière dont ils exercent leur métier sur la terre n’est pas de nature à leur faire espérer de le continuer dans le ciel.

— Si vous aviez toujours eu des idées aussi raisonnables, porte-chaîne, aucun mal ne vous serait arrivé, et ma vie et la vôtre eussent été épargnées. Mais les meilleurs calculs se trouvent déjoués dans ce monde. Je me croyais bien sûr, il y a trois jours, d’envoyer à Albany tout le bois que nous avions préparé. — Eh bien ! voilà les garçons dispersés, peut-être pour ne revenir jamais en cet endroit ; les filles sont dans la forêt à courir avec les daims ; les planches sont dans les grilles des gens de loi. Et tout cela est arrivé avec l’assistance d’un homme qui, en honneur, était tenu de me protéger, et voilà que, moi, je meurs ici !

— Ne pensez plus aux planches, mon homme, n’y pensez plus, dit gravement Prudence. Les jours sont courts pour tout le monde, courts pour vous surtout, malgré vos soixante-dix ans, tandis que l’éternité n’a pas de fin. Oubliez le bois, oubliez les garçons et les filles, oubliez la terre et tout ce qu’elle contient !

— Vous ne voulez pas que je vous oublie, Prudence, interrompit Mille-Acres, vous, ma femme depuis quarante longues années, vous que j’ai prise jeune et belle, qui m’avez donné tant d’enfants, et qui avez toujours été une femme fidèle et laborieuse ! Vous ne voulez pas que je vous oublie, vous !

Ce singulier appel, venant d’une pareille bouche, presque au moment de l’agonie, avait quelque chose de saisissant et de so-