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— De grâce, que dit-on, ma mère ? ne craignez rien ; j’ai du courage.

— Eh bien ! on dit qu’Herman Mordaunt ne s’est fait donner cette mission que pour avoir occasion de conduire Anneke près d’un certain régiment où se trouve le fils d’un baronnet qui lui est quelque peu parent, et qu’il désire faire épouser à sa fille.

— Quelle supposition ! m’écriai-je avec indignation. Jamais Anneke Mordaunt n’a pu concevoir un projet si peu délicat !

— Anneke, non ; mais son père, ce n’est pas la même chose. Les pères ont beaucoup d’audace, et les mères aussi, je puis en parler, moi, — quand il s’agit du bonheur de leur enfant.

— Mais qui lui répond qu’il l’assurerait ainsi ? Comment, d’ailleurs, peut-on si bien savoir ce qui se passe dans le cœur d’Herman Mordaunt ?

— En jugeant les autres d’après soi-même, mon cher fils ; mais je conviens que le moyen est loin d’être infaillible, et c’est ce qui peut vous laisser quelque espoir. Je ne vous le cacherai pas, Corny ; vous ne sauriez me donner de fille que j’aimasse plus tendrement. Nous sommes parents, comme vous savez ; la trisaïeule de son père…

— Laissons là sa trisaïeule, ma bonne, mon excellente mère ! Si vous saviez quel bien vous me faites ! Non, jamais vous n’aurez d’autre fille qu’Anneke Mordaunt ; elle ou personne !

— Ne parlez pas ainsi, Corny, je vous en conjure ! s’écria ma mère avec un certain effroi. Songez qu’on ne peut répondre des goûts ; c’est un rival redoutable qu’un régiment ; et, après tout, ce M. Bulstrode, comme on le nomme, je crois, pourrait convenir à la fille aussi bien qu’au père. Mon pauvre Corny rester toujours garçon, quand il n’y a pas une fille du comté qui ne dût être fière de l’épouser ! Non, cela ne peut pas être.

— Allons, ma mère, n’en parlons plus. — Mais est-il vrai que M. Worden doive partir avec nous ?

— Non-seulement M. Worden, mais M. Newcome. M. Worden regarde comme un devoir de suivre l’armée où il y a si peu d’aumôniers ; et dans ces vilaines guerres les pauvres âmes sont appelées si subitement à rendre leur dernier compte, que personne n’a vraiment le courage de s’opposer à son départ.