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nous nous rendrions à Mooseridge. Deux modes de transport se présentaient : nous pouvions attendre que la rivière fût navigable, et alors nous embarquer sur un des sloops qui partent une ou deux fois par semaine de New-York pour Albany au retour de la belle saison. Mais l’armée se servirait sans doute de cette voie, et il faudrait alors s’exposer à une foule de retards et de désagréments pour attendre le bon plaisir des quartiers-maîtres et des fournisseurs. Mon grand-père, vieillard vénérable à cheveux blancs, qui restait en robe de chambre et en bonnet de coton toute la matinée, mais qui ne manquait jamais de mettre sa perruque et de faire sa toilette pour le dîner, secoua la tête dès qu’il en fut question, et nous engagea à conserver, avant tout, la liberté de nos mouvements.

— Ayez affaire le moins possible à tous ces gens-là, Corny, me dit-il ; c’est l’argent qu’ils recherchent et non l’honneur ; et si vous tombez dans leurs griffes, ils vous traiteront comme un baril de bœuf ou un tas de pommes de terre. Si vous êtes obligé de suivre l’armée, mon garçon, restez au milieu des vrais soldats, mais surtout évitez les fournisseurs.

Il ne fallait donc plus songer à aller par eau. Restait la voie de terre. En partant en traîneau avant que la neige qui couvrait les routes fût fondue, nous pouvions être en trois jours à Albany. Il n’y avait plus à traiter que la question économique, et voici le plan auquel on s’arrêta. Si j’en parle, c’est qu’il me semble éminemment judicieux. On savait qu’il faudrait beaucoup de chevaux pour l’armée, pour le transport des provisions, etc. Or, nous avions à la maison quelques chevaux robustes, qui commençaient à se faire vieux, mais qui pouvaient encore très-bien servir pour une campagne. Le colonel Follock en avait de semblables, et le tout réuni s’élevait à quatorze. C’était de quoi faire trois beaux attelages, et il devait rester encore deux chevaux pour porter une charge plus légère. On se procura de vieux traîneaux de toute solidité ; Jaap, avec deux autres nègres, fut envoyé en avant à la tête de ce que mon père appelait une brigade de traîneaux de transport. On y avait placé tout le porc et la farine qui n’étaient pas nécessaires à la consommation des deux familles. La guerre avait fait monter considérablement le prix de ces den-