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Je quittai Lilacsbush sérieusement amoureux ; ce serait une faiblesse de ma part de le cacher. Anneke, dès le premier moment, avait fait sur moi une vive impression ; mais cette impression ne s’arrêtait plus à l’imagination ; elle avait pénétré jusqu’au fond du cœur. Peut être fallait-il la voir dans l’intimité pour juger de toutes ses perfections. À New-York, je ne l’avais entrevue que dans la foule, entourée d’admirateurs ou de jeunes filles de son âge, et il n’était guère possible d’apprécier son caractère. Cependant, quand Mary Wallace était auprès d’elle, on voyait qu’elle était plus à l’aise, et ses sentiments naturels se montraient alors dans toute leur naïveté. Lorsque miss Mordaunt parlait à son amie, l’affection faisait vibrer sa voix, la confiance se peignait dans son regard, l’estime, la déférence respiraient dans tous ses traits. Mary Wallace avait deux ans de plus qu’elle ; et cette différence d’âge, jointe à son caractère, justifiait ces égards de la part de son amie, qui, du reste, en les ayant pour elle, ne cédait qu’à un élan naturel de son cœur.

Une preuve de l’empire que la passion prenait sur moi, c’est que j’oubliai Dirck, son attachement évident, ses prétentions antérieures aux miennes et ses chances de succès. Quelle qu’en fût la cause, il était évident qu’Herman Mordaunt avait beaucoup d’estime pour Dirck Van Valkenburgh. Les relations de parenté qui existaient entre eux pouvaient y être pour quelque chose, et il était possible que le père calculât déjà les avantages d’une alliance plus intime avec lui. Le colonel Follock passait pour riche, et son fils, outre sa mâle figure et ses membres robustes qui annonçaient un jeune Hercule, avait le plus heureux caractère et la meilleure réputation. Eh bien, pourtant Dirck ne me faisait pas peur ; c’était Bulstrode qui, dès le principe, m’avait donné de sérieuses inquiétudes. Je voyais tous les avantages qu’il avait sur moi, je me les exagérais même, et j’étais aveugle sur ceux de mon ami. Peut-être si l’image de Dirck s’était présentée plus souvent ou plus distinctement à mon esprit sous les traits d’un rival, aurais-je eu la magnanimité de battre en retraite et de lui laisser le champ libre. Mais après cette matinée passée à Lilacsbush, le sacrifice n’était plus possible ; et lorsque je m’éloignai de la maison côte à côte avec mon ami, je ne songeais en aucune manière