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salués de manière à ne pas nous permettre de les reconduire. Bulstrode prit mon bras d’un air dégagé, et se dirigea vers Dukestreet où il demeurait, tandis qu’Harris, qui partout aimait à arriver le dernier, continuait sa promenade.

— Savez-vous, Littlepage, que c’est une des plus jolies et des plus aimables filles des colonies ? s’écria mon compagnon, dès que nous fûmes seuls, avec une chaleur et un sérieux qui me surprirent. Quelques mois de séjour à Londres en feraient une femme accomplie ; il ne lui manque qu’un peu d’usage et de vernis du monde ; car il y a dans sa naïveté un charme qui vaut l’art des coquettes.

— Pour moi, répondis-je au comble de la surprise, je ne vois pas ce qui manque à miss Mordaunt ; elle me semble être la perfection, et elle ne pourrait que perdre à changer.

Ce fut le tour de Bulstrode à ouvrir de grands yeux. Il me regarda fixement pendant quelques secondes ; puis il ne parla plus d’Anneke et mit la conversation sur les pièces de théâtre. Bulstrode avait de l’esprit et de l’instruction ; j’avais un grand plaisir à l’écouter. Voilà l’homme qui convient à Anneke Mordaunt, ne pouvais-je m’empêcher de penser. Il réunit tous les avantages : la naissance, les dehors, l’éducation, la fortune ; s’il se présente, il ne peut manquer de réussir. Il conduira sa femme à Londres pour lui donner ce vernis dont il fait tant de cas. La prudence veut que je veille sur mon cœur ; n’allons pas laisser naître une passion qui ne pourrait que me rendre malheureux.

J’étais jeune, et voilà pourtant comme je raisonnais. Je me croyais bien sage, et je formais les plus belles résolutions. En quittant le jeune major, je lui promis de venir le reprendre au bout d’une demi-heure, afin de me rendre avec lui chez Herman Mordaunt. Je fus exact au rendez-vous.

— Il est heureux, dit Bulstrode en me prenant le bras, que ce soit la mode à New-York d’aller à pied ; car des voitures auraient beaucoup de peine à passer dans ces rues étroites. J’en rencontre pourtant parfois quelques-unes. Quant aux chaises à porteur, je ne puis souffrir d’y voir un homme.

— Plusieurs de nos principales familles ont des équipages, et elles s’en servent, répondis-je. Néanmoins il est de très-bon ton