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-père, le capitaine Hugh Littlepage, trente ans après la cession définitive de la colonie aux Anglais par les Hollandais, ses propriétaires primitifs ; il devait passer à mon père, le major Evans Littlepage. C’était donc, même à l’époque de ma naissance, un ancien bien patrimonial. C’est là que mes parents demeuraient depuis près d’un demi-siècle, depuis bien plus longtemps même, si l’on comprend la ligne maternelle ; c’est là que je demeure, au moment où j’écris ces lignes ; c’est là, je l’espère, que mon fils unique demeurera après moi.

Avant de commencer une description plus détaillée de Satanstoé, il ne serait peut-être pas mal d’expliquer d’où lui vient ce nom assez étrange. Le col est situé près d’une passe bien connue qui se trouve dans le bras de mer étroit qui sépare l’île de Manhattan de l’Île-Longue (Long-Island), sa voisine, et qu’on appelle la Porte-de-l’Enfer. Or, voici ce que rapporte une tradition, qui, je l’avoue, ne circule guère que parmi les nègres des environs. Un jour, le père des Ténèbres, mis violemment à la porte de certaines tavernes de la Nouvelle-Hollande, s’était échappé par cette passe célèbre, laissant pour traces de son passage les récifs et les tournants qui rendent la navigation si difficile dans cet endroit ; et en posant précipitamment le pied là où s’étend aujourd’hui une vaste baie au sud et à l’est du col, il toucha de son orteil le col lui-même ; tandis qu’il s’enfonçait dans l’est, partie du pays d’où le bruit courait qu’il était primitivement sorti. Comme le diable est censé mettre sens dessus dessous tout ce qu’il touche, et que notre domaine ressemblait assez par sa forme à un orteil renversé, on lui donna le nom d’orteil-de-Satan, Satanstoé, nom qu’il porte de temps immémorial ; s’il est permis de se servir de cette expression en parlant d’un pays où rien ne remonte à plus d’un siècle et demi.

J’avoue que je ne suis nullement partisan des changements inutiles, et j’espère de tout mon cœur que ce nom lui restera tant que la maison de Hanovre gouvernera ce royaume, tant que l’on verra l’eau couler et l’herbe pousser. On a tenté tout récemment de persuader aux gens du voisinage que ce nom est irréligieux et indigne d’habitants aussi éclairés que ceux du West-Chester ; mais la tentative a échoué.