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comme pour donner lieu à une comparaison qui ne pouvait que lui être favorable. Je n’avais pourtant nul moyen de me plaindre ; son ton était poli, ses manières prévenantes ; et cependant je ne pouvais m’ôter de l’esprit qu’il cherchait à s’amuser un peu à mes dépens.

— Savez-vous que vous êtes un heureux morte1, monsieur Littlepage, dit-il en commençant, d’avoir pu rendre un pareil service à miss Mordaunt ? Nous envions tous votre bonne fortune, tout en admirant votre courage ; voila une aventure qui fera du bruit dans notre régiment ; car miss Anneke a tous les cœurs, et son libérateur a droit à notre reconnaissance.

Je marmottai quelques paroles assez embrouillées pour répondre à ce compliment, et mon interlocuteur continua.

— Je suis surpris, monsieur Littlepage, qu’un brave comme vous ne vienne pas dans nos rangs à une époque où il y a chance de se battre. On dit que votre père et votre grand-père ont servi et que vous avez de la fortune ; vous trouverez parmi nous grand nombre de jeunes gens de mérite et de bon ton, et vous passerez le temps très-agréablement ; on attend de nombreux renforts, et je suis sûr que vous obtiendriez facilement un beau grade. Je serais heureux de vous aplanir les voies si vos vues se tournaient de ce côté.

Tout cela fut dit avec un air de franchise et de sincérité d’autant plus apparent peut-être qu’Anneke était assise de manière à ne pouvoir manquer de nous entendre ; je remarquai même qu’elle tourna les yeux de mon côté au moment où j’allais répondre ; mais je n’osai regarder du sien pour voir quelle expression se peignait sur sa figure.

— Je suis bien sensible, monsieur Bulstrode, à votre aimable proposition, répondis-je d’un ton assez ferme, car la fierté vint à mon secours ; — mais mon grand-père vit encore, je dois lui obéir, et je sais que son désir est que je reste à Satanstoé.

— À Satan quoi ? demanda Bulstrode avec plus de curiosité peut-être qu’il n’était compatible avec la stricte bienséance.

— À Satanstoé, monsieur. Je ne suis pas surpris que ce nom vous fasse sourire, il est assez étrange ; mais enfin c’est le nom donné par mon grand-père à la terre que nous habitons.