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d’un détachement de ce que Bulstrode appelle l’infanterie légère.

Trois ou quatre des jeunes personnes prirent alors part à la conversation, protestant qu’elles ne souffriraient pas qu’on les enrôlât dans l’armée d’une façon si cavalière. M. Bulstrode riposta qu’un jour ou l’autre il espérait pourtant les voir entrer non-seulement dans l’armée, mais dans son régiment. Ce furent alors des réclamations sans fin contre ce service forcé, et surtout, des éclats de rire auxquels je fus bien aise de voir que ni Anneke, ni sa plus intime amie, Mary Wallace, ne prenaient part. J’approuvai leur réserve, et je m’aperçus qu’on n’en avait pour elles que plus d’égards et plus de respect.

J’appris un peu plus tard que des trois officiers le plus jeune était enseigne ; il se nommait Harris, et était fils cadet d’un membre du parlement ; à proprement parler, ce n’était encore qu’un enfant. Le second, Billings, était capitaine, et l’on disait que c’était le fils naturel d’un grand personnage. Quant à Bulstrode, il était fils aîné d’un baronnet qui pouvait avoir de trois à quatre mille livres sterling de revenu ; à force d’argent il était déjà parvenu au grade de major, quoiqu’il n’eût encore que vingt-quatre ans. C’était un joli garçon, et je vis du premier coup d’œil que c’était un admirateur déclaré d’Anneke Mordaunt. Les deux autres s’admiraient trop eux-mêmes pour avoir des sentiments bien vifs pour toute autre personne. Dirck, plus jeune que moi, et d’une défiance excessive, se tenait à l’écart, causant presque tout le temps d’agriculture avec le père.

Il y avait une heure que nous étions ensemble, et j’avais pris assez d’aplomb pour changer de place et pour regarder un ou deux tableaux qui décoraient les murs, et qui étaient des originaux apportés de l’Ancien-Monde ; car, à dire vrai, l’art de la peinture n’a pas encore fait de grands progrès dans les colonies, quand M. Bulstrode s’appropria de moi. Il était mon aîné de quatre ans ; il avait été élevé dans une université ; c’était l’héritier d’un baronnet ; il connaissait le monde ; il était parvenu au grade de major ; il savait être aimable quand il le voulait. Que d’avantages n’avait-il pas sur un pauvre garçon tel que moi, qui n’avait aucune expérience ! Je n’étais nullement flatté qu’il vînt ainsi se placer à mon côté, en présence d’Anneke Mordaunt,