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Je doute qu’un lion même eût eu le cœur de faire du mal à miss Mordaunt, quand même il l’aurait pu.

Il me semble que cette réponse n’était pas trop mal tournée pour un jeune homme de vingt ans, et j’avoue que je me la rappelle encore aujourd’hui avec complaisance. Je prie le lecteur de me pardonner cette faiblesse, et si je la signale, c’est qu’avant tout je dois être historien véridique, et je ne veux rien cacher de ce qui me concerne.

Herman Mordaunt ne voulut pas se rasseoir, à cause de l’heure avancée ; mais il m’assura de son amitié, et m’invita à dîner pour le vendredi, le premier jour où il pouvait compter sur ses domestiques. L’invitation fut faite pour trois heures, car on dînait de plus en plus tard depuis que nous avions une armée ; et il paraît même qu’à Londres le bon ton était de dîner plus tard encore. Après être resté cinq minutes, Herman Mordaunt se retira en me serrant affectueusement la main.

Au dîner, je racontai à mon oncle et à ma tante ce qui s’était passé, et je fus charmé de les entendre parler de mes nouvelles connaissances dans les termes les plus favorables.

— Herman Mordaunt, dit mon oncle, pourrait jouer un grand rôle s’il voulait entrer dans la vie politique. Il a des talents, de l’instruction, une jolie fortune, et il est allié à ce qu’il y a de mieux dans la colonie, et même, dit-on, en Angleterre.

— Anneke est une charmante enfant, ajouta ma tante, et puisque Corny était destiné à protéger une jeune fille, je suis charmé que ce soit elle. Elle a le meilleur cœur, et ma sœur Littlepage et moi nous n’avions pas d’amie plus intime que sa mère. Il serait bien, Corny, d’aller savoir ce soir même de ses nouvelles. C’est une attention qu’elle est en droit d’attendre, après ce qui est arrivé.

Je ne demandais pas mieux, assurément ; mais j’étais si jeune et si novice que je ne savais trop comment me présenter. Heureusement Dirck arriva bientôt ; il approuva ce qu’avait dit ma tante, et offrit de me conduire. J’acceptai avec empressement, et nous partîmes ensemble pour Crown-Street, où demeurait alors M. Mordaunt dans un superbe hôtel. Il vint nous ouvrir lui-même, aucun de ses nègres n’étant encore revenu de la fête.