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trois milles, il fût assez difficile de distinguer les objets, et que je ne pusse guère admirer que de confiance. Cependant je distinguai la maison, le verger et la pelouse. Le bâtiment était en pierres de taille, comme la plupart des grandes habitations du pays ; il était long, de forme irrégulière, et il ne paraissait pas moins commode que solide ; les murs n’étaient pas blanchis à la chaux, suivant l’usage constant des colons hollandais, qui semblent ne se passionner que pour la pipe et pour la brosse ; on leur avait laissé leur teinte grisâtre, ce qui faisait qu’au premier coup d’œil il était plus difficile de distinguer les contours de l’édifice. Cependant je trouvai bientôt un certain charme à considérer ce tableau un peu sombre, qui reposait la vue, et sur lequel ressortaient les différents angles, les toitures et les cheminées. Après tout, la petite baie tranquille et retirée, la pelouse de peu d’étendue, mais bien distribuée, le verger et tous les autres accessoires, formaient un des sites les plus agréables que j’eusse encore vus. Je m’empressai de dire à mon compagnon ce que j’en pensais ; on voulait bien me reconnaître quelque goût, et j’avais été consulté plus d’une fois par des voisins de campagne sur le dessin de leurs jardins.

— Quelle est cette maison, Dirck ? demandai-je ; en connaissez vous le propriétaire ?

— C’est Lilacsbush (le Bosquet de Lilas), répondit mon ami ; et elle appartient à un cousin de ma mère, Herman Mordaunt.

Ce n’était pas la première fois que j’entendais prononcer ce nom ; c’était celui d’un des principaux habitants de la colonie, fils d’un major Mordaunt, de l’armée anglaise, qui avait épousé la fille d’un riche négociant hollandais ; de là le nom d’Herman, qui avait passé au fils avec la fortune. Les Hollandais aiment tant ce qui leur rappelle leur pays qu’ils ne manquaient jamais de donner à ce M. Mordaunt son nom de baptême, et on ne l’appelait jamais autrement dans la colonie qu’Herman Mordaunt. Du reste, j’avais peu entendu parler de lui ; tout ce que je savais, c’était qu’il passait pour riche, et qu’il était admis dans la meilleure société, quoique, à proprement parler, il n’appartînt pas à l’aristocratie territoriale ou politique de la colonie.

— Puisque Herman Mordaunt est le cousin de votre mère, mon