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été placées vingt-quatre ans auparavant, le jour du baptême du pauvre garçon, se trouvèrent excellentes.

Le révérend M. Worden officia solennellement, et il inspira un intérêt universel lorsqu’on sut qu’il avait failli partager le sort de celui dont il confiait en ce moment la dépouille à la terre, poussière qui retournait se mêler à la poussière.

Pauvre Guert ! Je passai quelques instants auprès de son tombeau avant de partir. Voilà donc tout ce qui restait de ce beau jeune homme, de ce courage indomptable, de cette pétulante gaieté ! Au physique, il eût été impossible de trouver un homme plus accompli. Si, sous le rapport intellectuel, il laissait à désirer, c’était pour n’avoir pas reçu d’éducation. Néanmoins, tous les livres du monde n’auraient jamais pu faire de Guert un Jason Newcome, ni de Jason un Guert Ten Eyck. Chacun d’eux avait sans doute les travers particuliers de sa province ; mais la nature avait aussi établi entre eux des distinctions profondes. Toute la fougue impétueuse de Guert n’avait jamais pu altérer sa sensibilité ni sa délicatesse ; tandis que les prétentions extravagantes de Jason n’avaient jamais pu l’élever au-dessus du commun. Hélas ! je pleurai sincèrement mon ami, et sa mémoire n’a jamais cessé de m’être chère.

Dirck et moi, nous avions tant de connaissances à Albany qu’on fit de grands efforts pour nous retenir ; mais, après tant de secousses, il nous tardait de nous retrouver chez nous, et nous nous embarquâmes à bord du premier sloop qui partit pour New-York. Notre traversée fut généralement regardée comme très-heureuse ; elle ne dura que six jours. Il est vrai que nous engravâmes trois fois ; mais c’étaient des accidents trop fréquents pour qu’on y fît grande attention. Un de ces séjours forcés eut lieu dans l’Overslaugh, et j’y passai quelques heures délicieuses à me retracer tous les détails de nos tragiques aventures sur la glace. Anneke m’avait avoué qu’à cette époque elle m’aimait déjà depuis longtemps, et je cherchais à me rappeler les moindres mots, les moindres circonstances qui eussent pu m’éclairer alors ; il me semblait qu’en effet j’avais été bien aveugle de ne pas comprendre que mon amour était partagé.

Dirck me quitta à Tappan-Sea pour aller dans le Rockland au-