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Quant à Guert Ten Eyck, il me rejoignit plus triste et plus désespéré que jamais.

— J’avais pensé, Corny, que si Mary Wallace se sentait pour moi la plus petite inclination, elle la manifesterait dans un moment où nous sommes, pour ainsi dire, suspendus entre la vie et la mort. J’ai souvent entendu dire que la femme la plus disposée à se moquer d’un jeune soupirant dans un salon, et à lui faire subir mille avanies pendant que tout le monde se livre à la joie et au plaisir, serait la première à tourner, comme la girouette sur nos granges hollandaises, au moindre changement de vent, dès que quelque revers inattendu viendrait le frapper. En d’autres termes, que la même fille qui se montrerait capricieuse et irrésolue à l’heure du bonheur et de la prospérité, deviendrait tout à coup tendre et fidèle du moment que l’infortune atteindrait son amant. D’après cette assurance, je crus que c’était l’instant de redoubler d’efforts auprès de Mary pour obtenir au moins une lueur d’espérance ; j’y mis tout mon esprit, et vous savez, Corny, que ce n’est pas grand-chose. Eh bien, je n’ai pas réussi ; tout ce que j’ai pu arracher d’elle, c’est que le temps était très-mal choisi pour parler de pareilles choses. En vérité, j’irais me jeter au milieu de ces infâmes Hurons pour me faire tuer, si je ne réfléchissais qu’après tout cette même enfant, qui me rebutait ainsi, était restée deux grandes heures à écouter ce que j’avais à dire, quoique je n’eusse point parlé d’autre chose. C’est pourtant une petite consolation, Corny, ou je ne connais rien à la nature humaine.

C’était vrai, et cependant je ne pouvais m’empêcher de comparer cette réticence calculée aux avenir si francs et si généreux d’Anneke, et de me dire que les affaires du jeune Albanien aux cœur si ouvert, aux manières si franches, étaient beaucoup moins avancées que les miennes.