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cuits ; il n’était pas impossible de se perdre en chemin, et l’on citait des personnes qui avaient dû passer la nuit dans la plaine de Harlem, vaste solitude qui se trouve à sept ou huit milles de la capitale. Aussi ma mère eut-elle grand soin de nous éveiller de très-bonne heure ; pour cela, elle s’était levée avant le jour ; elle prépara en toute hâte notre déjeuner, et nous quittions Satanstoé au moment où le soleil commençait à dorer l’horizon.

Dirck ce matin-là était d’une gaieté charmante, et, s’il faut tout dire, Corny n’éprouvait nullement cet abattement que, par égard pour les bienséances, il eut dû peut-être ressentir, lorsque, dans un âge aussi tendre, il quittait pour la première fois de son plein gré le toit paternel. Nous cheminions ensemble, riant et jabotant comme deux jeunes filles qui viennent de franchir le seuil de la pension. Jamais je n’avais vu Dirck si communicatif, et il me dévoila ses sentiments et ses espérances avec un abandon qui me toucha infiniment ; nous étions à peine à un mille de Satanstoé que mon ami commença sur-le-champ.

— Vous savez sans doute, Corny, ce dont nos deux pères se sont occupés depuis quelque temps ?

— Quoi ! mon père et le vôtre ? — Je n’en sais pas le premier mot.

— Ils ont présenté au gouverneur et au conseil une demande collective pour faire constater leurs droits sur les terres qu’ils ont achetées aux Mohawks, lors de la dernière campagne qu’ils ont faite ensemble comme officiers de milice.

— C’est tout nouveau pour moi, Dirck, répondis-je ; pourquoi donc nos chers parents en ont-ils fait tant de mystère ?

— Qui sait ? Peut-être est-ce pour dérouter les Yankees ; vous savez que mon père ne peut souffrir qu’un Yankee mette le nez dans ses affaires ; il dit que les Yankees sont les sauterelles de l’ouest.

— Mais comment l’avez-vous découvert, vous, Dirck ?

— Je ne suis pas un Yankee, Corny.

— Et c’est à cette recommandation que vous devez la confidence de votre père ?

— Mon père me l’a dit, comme il me dit tout ce qu’il juge à propos que je sache ; nous fumons ensemble, et puis nous causons.