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si elle était dans le calme et la tranquillité de Lilacsbush.

— On voit bien, Corny, que vous ne connaissez rien aux femmes. Je veux bien que, si la chose était à commencer, s’il n’y avait pas eu quelques petites fondations jetées d’avance, si je puis me permettre cette image tant soit peu libre, votre théorie puisse être juste ; mais il n’en est pas de même dans les circonstances actuelles. Voici une jeune personne de dix-neuf ans, qui sait qu’elle est recherchée, et recherchée avec toute l’ardeur dont ils sont capables, par deux jeunes gens, — sur lesquels il n’y a pas la moindre objection à élever, n’est-il pas vrai ? Eh bien ! je dis que, dans cette position, la semaine ne doit pas s’écouler sans qu’il y ait une conclusion. Si je suis l’heureux mortel, vous pouvez compter de ma part sur la plus tendre compassion, comme je compte sur la vôtre, vice versa. Au surplus, depuis cette malheureuse affaire de Ticonderoga, je suis fait aux humiliations.

Je ne pus m’empêcher de sourire à ce singulier exposé de notre situation comme amants ; et, malgré la gravité des circonstances, qui certes auraient dû réclamer toute mon attention, Anneke occupait tellement toutes mes pensées que je n’eus pas le courage de m’arracher à cet entretien, et je priai Bulstrode, puisqu’il ne goûtait pas ma théorie, de m’exposer la sienne.

— Moi, Corny, voici comment je raisonne. Anneke aime l’un de nous, c’est évident. D’abord, elle aime, j’en mettrais ma main au feu. Sa rougeur, son regard tendre et humide, sa beauté même, tout respire l’amour. Maintenant, il n’est pas possible qu’elle aime une autre personne que l’un de nous deux, par la raison toute simple que nous sommes les seuls qui lui ayons fait la cour. Je serai franc avec vous, et je ne vous cacherai pas que je crois être le mortel préféré, tandis que je parierais que, de votre côté, vous ne vous croyez pas moins sûr de votre fait.

— Détrompez-vous, major Bulstrode ; je vous donne ma parole qu’une pareille présomption n’a jamais…

— Oui, oui, je vous comprends. Vous n’êtes pas digne de l’affection d’Anneke Mordaunt, et vous n’avez jamais présumé qu’elle pût l’accorder à un être aussi pauvre, aussi chétif, aussi misérable, aussi nul ; vous voyez que je ne vous ménage pas, et