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de ses gens étaient des Européens qui n’avaient aucune connaissance des armes à feu ; et l’expérience lui avait appris que d’autres, à la moindre alarme, ne manquaient jamais de s’enfuir dans les bois avec leurs familles, au lieu de se rallier dans la citadelle. Ce sont de ces défections auxquelles il faut toujours s’attendre dans les conjonctures critiques, l’amour de la vie l’emportant encore sur celui de la propriété. Il se trouvait néanmoins de temps en temps un colon résolu qui se barricadait dans sa hutte, et qui se signalait par une défense qui aurait fait honneur à un héros.

Pour peu qu’on ait quelque idée de la manière de faire la guerre des sauvages, on doit concevoir que le ravin étant le seul endroit boisé près de la citadelle d’Herman Mordaunt, c’était là que les ennemis devaient se cacher, pour approcher sans être vus. Nous le savions ; et Guert, qui prit en main le commandement dès qu’il vit augmenter le danger, recommanda à chaque homme de se tenir sur ses gardes, afin de prévenir toute confusion. Il nous apprit ce que nous devions faire en cas d’alarme, et, sous sa direction, nous nous étions habitués à imiter les cris des différents habitants des bois, et notamment des oiseaux, cris qui devaient nous servir de signaux entre nous. Cette invention était due aux Peaux Rouges, qui employaient souvent des moyens semblables ; mais nos chasseurs étaient devenus, disait-on, plus habiles sous ce rapport que ceux mêmes qui en avaient eu la première idée.

En entrant dans le ravin, l’ordre de notre marche fut changé. Susquesus et le Sauteur continuèrent d’aller en avant ; mais Guert, Dirck, Jaap et moi, nous marchâmes de front, serrés les uns contre les autres. L’épaisseur du feuillage et les ténèbres qui couvraient le ravin rendaient cette précaution nécessaire. L’obscurité devint bientôt si profonde que notre seul guide était le torrent qui bruyait au fond, et qui, en sortant du ravin, allait se jeter dans une petite rivière qui serpentait à travers quelques prairies naturelles à l’ouest de Ravensnest.

Nous avions pénétré assez avant dans cette espèce d’antre du Tartare, pour être arrivés à un point où la faible lueur provenant de la clairière et des astres du firmament arrivait jusqu’à nous,