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cependant c’était le seul parti qu’il semblait possible de prendre. Tout en discutant cette question, ceux d’entre nous qui avaient quelque appétit profitèrent de la halte pour dîner. Un Indien sur le sentier de guerre sait manger ou jeûner à volonté, et l’on ne saurait croire à quel point sous ce rapport il peut maîtriser la nature.

Pendant que Susquesus et Jaap en particulier s’acquittaient ainsi de leur tâche en conscience, et que nous autres nous avions à peine le cœur de manger un morceau, comme des hommes chez qui une profonde douleur a absorbé toute autre sensation, j’aperçus dans l’éloignement une forme humaine qui se glissait à travers les arbres en venant à nous. Dans le premier mouvement de surprise et de terreur, je ne pus prononcer une parole, mais je montrai vivement du doigt à l’Onondago l’objet que l’avais vu. Sans doute il l’avait aperçu même avant moi, car, loin de manifester aucune émotion, il continua son repas, et se contenta de remuer la tête en disant :

— Bon ! nous allons avoir des nouvelles, le Sauteur vient.

C’était lui en effet ; et en le voyant paraître sain et sauf, nous poussâmes tous un long cri de joie. Il continua à s’avancer de ce pas allongé qui est naturel aux coureurs ; puis, arrivé au milieu de nous, il resta calme et immobile. Il ne salua pas ; mais, s’asseyant tranquillement sur un tronc d’arbre, il attendit qu’on le questionnât. L’impatience était à ses yeux une faiblesse qui ne convenait qu’à des femmes.

— Par saint Nicolas ! mon ami, s’écria Guert d’une voix que l’émotion rendait tremblante, soyez le bienvenu ! Ces diables incarnés, les Hurons, ne vous ont du moins pas fait de mal.

La boisson avait engourdi en général les facultés du Sauteur, quoique, pour le moment, il fût parfaitement sobre. Il regarda celui qui lui parlait d’un air presque hébété, qui indiquait pourtant qu’il le reconnaissait, et il répondit d’une voix basse et traînante :

— Beaucoup de Hurons ! les bois en sont pleins. Le Visage Pâle du fort m’envoie avec un message.

Nous l’aurions accablé de questions, s’il ne s’était pas mis à déplier un coin de sa chemise de calicot, et à nous montrer plu-