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pourtant pas sans charmes, pénétrait une sombre lumière, comme celle qui passe à travers les fenêtres d’un bâtiment gothique, jetant sur tous les objets une teinte à la fois douce et grave. Une source se précipitait du haut d’un roc ; et, au pied, étaient assis en cercle M. Traverse et ses deux aides, qui semblaient prendre leur repas du soir, ou plutôt qui venaient de le terminer, car on voyait encore devant eux une partie des provisions. Tom, le second chasseur, était couché un peu à l’écart.

— Grâce à Dieu, dit Guert d’un ton joyeux, il n’y a pas eu même d’alarme de ce côté, et nous arrivons à temps pour les instruire du danger. Je vais les appeler ; le son de notre voix retentira agréablement à leurs oreilles.

— N’appelez pas ! dit vivement Susquesus ; le bruit ne sert à rien. Allez tout près, et parlez à voix basse.

Comme, après tout, ce conseil était prudent, nous avançâmes tous ensemble, sans prendre toutefois la peine de cacher notre approche, mais en marchant d’un pas mesuré. Une sensation étrange s’empara de moi en remarquant qu’aucun des arpenteurs ne bougeait. Le soupçon de l’affreuse vérité se présenta aussitôt à mon esprit, mais je puis à peine dire que l’horreur que j’éprouvai en fut moins grande quand, en approchant, nous reconnûmes à la lividité des visages, à la fixité des yeux, que tous nos amis étaient morts. Les Indiens s’étaient fait un atroce plaisir de placer les corps dans des attitudes qui pussent faire croire que leurs victimes se livraient tranquillement au repos.

— Juste ciel ! s’écria Guert en laissant tomber à terre la crosse de son fusil, nous arrivons trop tard !

Personne ne parla. En ôtant les bonnets, nous découvrîmes que nos malheureux compagnons avaient été scalpés, et que ceux que nous avions laissés si peu de jours auparavant pleins de force et de santé n’étaient plus que des cadavres inanimés. L’autre Indien, le Sauteur restait seul à retrouver. Les quatre autres avaient été tués à coups de balle. M. Traverse en avait reçu à trois endroits différents.

J’avinerai que, pour la première fois, je ne pus n’empêcher de soupçonner le Sauteur ; et je n’hésitai pas à faire part de mes