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— Il est certain que les troupes du roi ont éprouvé des revers, et que, pour le moment, leurs droits sont affaiblis ; je n’en disconviens pas. Mais, en un jour, tout peut changer, et le roi reprendra sa terre. Faites attention qu’il n’a pas vendu Ticonderoga aux Français, comme les Mohawks nous ont vendu Mooseridge ; et vous serez le premier à convenir que cela fait une grande différence. Un marche est un marché, Onondago.

— Oui, un marché est bon — bon pour l’homme rouge, bon pour le Visage Pâle ; pas de différence. Ce que le Mohawk vend, il ne le reprend pas ; que le Visage Pâle le garde. Mais comment les Mohawks et le roi peuvent-ils vendre en même temps ? Tous deux possèdent donc la terre, heim ?

Cette question était assez embarrassante, surtout lorsque c’était à un Indien qu’il fallait répondre. Nous autres Européens, nous pouvons très-bien comprendre qu’un gouvernement qui, en vertu des principes reconnus par les nations civilisées, exerce un droit de juridiction sur de vastes territoires situés dans des forêts vierges, territoires qui servent seulement à certaines tribus sauvages de terrains de chasse, et encore momentanément, — que ce gouvernement, dis-je, croie juste d’indemniser les tribus avant de diviser ces terres pour les livrer à la culture ; mais il n’est pas si facile de faire comprendre à un enfant de la nature que le même bien peut avoir deux propriétaires. La transaction nous paraît simple, et elle dépose en notre faveur, car nous aurions la faculté d’accorder ces terres sans éteindre le titre indien, pour me servir de l’expression usitée ; mais elle présente des difficultés à l’esprit de ceux qui ne sont pas habitués à considérer la société avec les nombreux intérêts que la civilisation crée autour d’elle. En fait, l’acquisition faite aux Indiens n’a d’autre valeur, au point de vue légal, que d’appuyer la demande en concession que nous faisons auprès de la couronne ; laquelle ensuite nous impose telle autre condition que dans sa sagesse elle croit juste d’exiger. Néanmoins il fallait bien, de manière ou d’autre, répondre à l’Onondago, pour ne pas laisser s’accréditer dans son esprit l’idée erronée que nous n’étions pas légitimes possesseurs de nos domaines.

— Supposons, Susquesus, dis-je après un moment de réflexion,