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souffle d’air ; parfois seulement on entendait le faible murmure d’un léger filet d’eau qui serpentait sur la hauteur. Le bord que nous suivions ayant moins de sinuosités que le bord opposé, la plupart des embarcations en suivaient les contours sombres et escarpés, pour abréger leur route, et bientôt nous nous trouvâmes près de la ligne des bateaux qui se retiraient. Je dis la ligne, car, bien qu’on n’observât aucun ordre, chacun ne cherchant qu’à arriver par le plus court chemin au point de destination commun, il y avait un si grand nombre d’embarcations en mouvement en même temps, qu’aussi loin que l’œil pouvait pénétrer au milieu de ces ténèbres à peine visibles, il les voyait se succéder sans interruption. Les soldats étaient trop fatigués pour nager avec beaucoup d’énergie, après la journée qu’ils venaient de passer, et nous n’eûmes pas de peine à rejoindre la plupart de ces bateaux pesamment chargés, et à marcher de conserve, quoique en nous tenant plus rapprochés du bord. Cependant deux ou trois bâtiments, plus légers, parvinrent à se glisser encore entre nous et le rivage, où ils étaient cachés par l’ombre de la montagne, à tel point qu’on ne pouvait les distinguer. C’étaient sans doute quelques bâtiments baleiniers ; il y en avait plus de cent dans la flottille, qui portaient des officiers supérieurs.

Personne ne parlait. Il semblait qu’aucune voix humaine n’osât s’élever au milieu de cette grande catastrophe. Le bruit des avirons troublait seul d’abord le silence de la nuit ; mais à mesure que nous nous rapprochions de la ligne et que nous atteignions les embarcations qui étaient parties les premières, les cris et les gémissements des blessés venaient s’y mêler et en rompre tristement la monotonie. Ces malheureux, au milieu de leurs souffrances, avaient du moins deux motifs de consolation : jamais ils n’auraient pu être transportés d’un champ de bataille d’une manière plus douce ; et ils avaient à leur portée les moyens d’étancher la soif dévorante que la perte du sang ne manque jamais de produire.

Après avoir nagé pendant plusieurs heures, Susquesus fut relevé par Jaap ; Dirck, Guert et moi nous donnions de temps en temps un coup d’aviron, puis nous nous laissions aller un moment au sommeil, et ce peu de repos répara nos forces. Enfin